POLICES MUNICIPALES : UNE RÉFORME QUI POURRAIT MASQUER UN TRANSFERT DE COMPÉTENCES

Depuis plusieurs mois, le gouvernement affirme vouloir clarifier la place des polices municipales dans le paysage de la sécurité publique. Le projet de loi actuellement examiné au Sénat entend élargir certaines prérogatives judiciaires, à condition expresse que le maire en fasse la demande. Présenté comme un simple aménagement de compétences, ce texte soulève pourtant de nombreuses interrogations, y compris parmi les associations d’élus qui avaient pourtant contribué à un compromis au printemps dernier.

L’équilibre trouvé dans le cadre du Beauvau des polices municipales était clair : les polices municipales ne devaient ni se substituer ni se voir substituées aux forces de sécurité de l’État. L’idée était celle d’une complémentarité, limitée, proportionnée, et surtout, placée sous l’autorité du maire. Or les déclarations récentes du ministre de l’Intérieur viennent troubler ce paysage. Dans une interview, Laurent Nuñez évoque des missions dont les policiers nationaux et les gendarmes seraient désormais « déchargés », un mot lourd de conséquences dans un pays où la sécurité reste une compétence régalienne.

Pour les élus locaux, le risque est bien identifié. Derrière un discours sur la coopération, se profile la possibilité d’un glissement silencieux : une partie des missions aujourd’hui assurées par l’État pourrait être laissée aux communes, sans transfert de moyens, sans renfort d’effectifs, sans outils supplémentaires. Un transfert de charges qui ne dit pas son nom. À l’heure où les collectivités voient déjà leurs responsabilités s’étendre dans de nombreux domaines, cette perspective inquiète légitimement.

Le débat n’est pas théorique. Il ne s’agit pas de savoir si une commune doit ou non avoir une police municipale, ni d’en faire un étendard politique. Les réalités locales diffèrent, les choix des maires répondent à des contextes précis, et aucune option ne peut être imposée depuis Paris. Le véritable enjeu est ailleurs : garantir que l’État n’utilise pas la montée en compétences de certaines polices municipales comme prétexte pour se retirer de missions essentielles de tranquillité publique.

Le principe de base est simple : si l’État estime que certaines infractions méritent une réponse plus rapide ou plus efficace, c’est à lui d’en assurer les moyens. Et si des communes souhaitent, par choix politique ou organisationnel, conforter leur police municipale, cela doit rester un acte volontaire, assumé et proportionné, jamais une obligation venue compenser une défaillance de l’État. La sécurité doit rester une mission régalienne et les communes ne peuvent être le réceptacle de nouvelles charges sans accompagnement.

Ce débat revient au cœur du Congrès des maires, où les élus attendent du gouvernement des clarifications, et surtout des garanties. Car derrière les mots se joue une réalité fondamentale : la capacité des communes à ne pas se voir imposer, par petites touches, une responsabilité qui dépasse leurs moyens, leur vocation et leur périmètre d’action.

La sécurité, comme l’eau potable, l’école ou la santé, fait partie de ces sujets où la frontière entre l’État et les collectivités doit rester nette. L’État ne peut se contenter d’afficher une coopération renforcée tout en allégeant son investissement sur le terrain. La confiance entre les communes et l’État repose sur la franchise. Elle suppose de dire clairement ce qui relève du régalien, ce qui relève du local, et ce qui ne peut pas être transféré sans débat démocratique.

Au moment où s’esquissent des évolutions sensibles, une certitude demeure : aucune réforme durable ne peut reposer sur un glissement implicite. Les maires doivent pouvoir décider librement de leur organisation locale, et l’État doit rester pleinement responsable de ses missions. La sécurité n’a rien à gagner à l’ambiguïté.

Posted in Actu, Actualités, Dossiers Thématiques, Sécurité.