Les discours se multiplient, les promesses s’enchaînent, mais les résultats restent maigres. L’égalité femmes-hommes, pourtant érigée en grande cause nationale, peine à dépasser le stade de l’affichage politique. Dans son rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes, de l’école au marché du travail » publié en janvier 2025, la Cour des comptes dresse un bilan sévère : un pilotage défaillant, des moyens largement surestimés et une action publique décousue. Pour les collectivités locales, ce constat pose une question centrale : comment agir efficacement là où l’État faillit ?
Un affichage budgétaire trompeur
Derrière les annonces gouvernementales, la réalité est bien différente. Les crédits dédiés à l’égalité femmes-hommes sont passés de 128 millions d’euros en 2017 à 3,3 milliards en 2024, un chiffre spectaculaire en apparence. Mais la Cour des comptes est formelle : seuls 0,25 % de cette enveloppe financent réellement des actions concrètes. L’essentiel de cette augmentation repose sur des jeux comptables et des redéploiements budgétaires.
Conséquence directe pour les collectivités : un soutien financier quasi inexistant. Ce sont donc elles qui, sur le terrain, doivent prendre le relais et structurer des politiques ambitieuses avec des moyens contraints.
Des territoires en première ligne face aux inégalités
Face à ces constats, les collectivités locales sont appelées à jouer un rôle déterminant. Leur action dépasse la simple application des politiques nationales : elles interviennent directement sur le terrain, là où les inégalités se manifestent concrètement.
Elles prennent aussi racine dans l’accès aux services, aux équipements municipaux et aux opportunités professionnelles, influençant durablement le parcours des femmes dans la société. Elles s’insinuent dans tous les aspects de la vie publique et professionnelle, influençant l’accès aux services, aux équipements municipaux et aux opportunités professionnelles. Elles impactent aussi l’accès aux services publics, aux opportunités professionnelles et à l’aménagement du territoire. Or, ce sont précisément les collectivités locales qui gèrent les équipements municipaux, l’orientation scolaire, les politiques d’insertion et l’égalité dans l’emploi public.
Quels leviers pour agir efficacement ?
Au-delà des constats, les collectivités disposent de leviers concrets pour corriger les inégalités sur leur territoire. Plusieurs initiatives locales montrent que des actions ciblées peuvent produire des effets durables.
- Repenser l’orientation scolaire et professionnelle : certaines villes, comme Nantes, ont intégré des modules de sensibilisation dans les écoles pour encourager les filles à explorer des filières scientifiques et techniques, encore trop souvent dominées par les hommes. : certaines villes, comme Nantes, ont mis en place des modules de sensibilisation dans les écoles pour encourager les filles à poursuivre des études scientifiques et techniques.
- Agir sur l’emploi public : plusieurs communes ont instauré des objectifs de parité dans l’administration locale et mis en place des dispositifs favorisant la nomination de femmes à des postes de direction. : plusieurs communes ont instauré des quotas dans les postes de direction municipaux afin de corriger les déséquilibres de représentation.
- Faciliter l’accès aux équipements municipaux : repenser l’organisation des infrastructures sportives et culturelles pour assurer une utilisation plus équitable. Certaines villes réservent des créneaux spécifiques aux femmes dans les équipements sportifs afin de favoriser leur accès à ces espaces. : adapter les infrastructures et horaires pour garantir un accès égal aux pratiques sportives et culturelles (ex. : créneaux réservés aux femmes dans les équipements sportifs).
Des obligations nationales inefficaces : des sanctions trop rares, un rôle renforcé pour les collectivités
Si des cadres législatifs existent pour imposer l’égalité professionnelle, leur application reste largement insuffisante. La Cour des comptes dresse un constat accablant : en trois ans, seules 120 sanctions ont été infligées aux entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité salariale, alors que des milliers d’établissements sont concernés. Cette faiblesse des contrôles et des mesures coercitives limite considérablement l’impact des politiques nationales.
Sur le papier, des obligations existent pour encadrer l’égalité professionnelle. Mais la Cour des comptes dresse un constat accablant : seules 120 sanctions ont été infligées en trois ans aux entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité salariale, alors que des milliers d’établissements sont concernés.
Face à cette défaillance, les collectivités ont un rôle clé à jouer pour pallier les manquements de l’État :
- Réguler l’attribution des subventions locales : intégrer des critères stricts d’égalité salariale et de mixité dans l’octroi d’aides économiques aux entreprises. aux entreprises respectant la mixité et l’égalité salariale.
- Encadrer les marchés publics : exiger des engagements concrets en faveur de l’égalité femmes-hommes dans les contrats passés avec les prestataires et fournisseurs locaux. pour garantir que les prestataires s’engagent sur des pratiques non discriminatoires.
- Mettre en place un suivi local des inégalités : créer des observatoires municipaux de l’égalité pour évaluer les écarts de rémunération, d’accès aux responsabilités et mesurer l’efficacité des actions engagées. afin d’évaluer les écarts salariaux et d’accès aux responsabilités sur le territoire.
Quand les collectivités prennent l’initiative
Certaines villes n’attendent pas les injonctions de l’État pour structurer des politiques ambitieuses. Nantes, Quimperlé et Quimperlé Communauté en sont des exemples concrets.
Nantes : un engagement structuré et ambitieux
Objectif affiché : faire de Nantes une ville non-sexiste d’ici 2030. Parmi les mesures phares :
- Création de Citad’elles, un centre d’accueil ouvert 24h/24 et 7j/7 pour accompagner les femmes victimes de violences.
- Mise en place d’une budgétisation sensible au genre, analysant l’impact des décisions municipales sur l’égalité.
- Formation des agents municipaux et sensibilisation dans les écoles pour ancrer une culture de l’égalité.
Quimperlé : des engagements concrets pour l’égalité
La ville de Quimperlé s’est engagée depuis plusieurs années en faveur de l’égalité femmes-hommes avec la signature, dès 2018, de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Après un premier plan d’actions initié suite à la signature de la charte, la Ville a adopté en avril 2023 un deuxième plan pour 2024-2026. Celui-ci prend en compte de nouveaux enjeux, notamment la lutte contre la cyberviolence, la protection des élues et agentes territoriales, ainsi que l’intégration de l’égalité dans l’ensemble des services municipaux.
Ce plan d’actions vise à réduire les inégalités et repose sur quatre axes stratégiques :
- Développer une culture de l’égalité avec les citoyens et citoyennes, notamment par des actions de sensibilisation dès la petite enfance et dans les structures jeunesse.
- S’engager publiquement pour l’égalité, en adoptant une politique exemplaire auprès des acteurs institutionnels, économiques et associatifs.
- Contribuer à l’égalité pour tous, en garantissant un accès équitable aux équipements et activités municipales, notamment dans le domaine du sport et de la culture.
- Favoriser l’égalité au sein de la collectivité, en intégrant des critères d’égalité dans le fonctionnement interne des services municipaux et en formant les agents.
Ce plan repose sur 23 fiches-actions opérationnelles, intégrant des critères d’évaluation définis avec les services municipaux. Parmi les dispositifs mis en place : La Ville met ainsi en place des dispositifs spécifiques contre les stéréotypes et discriminations, tout en accompagnant les associations locales pour qu’elles intègrent une véritable culture de l’égalité.
- Lutter contre les stéréotypes dès l’enfance, à travers des actions de sensibilisation dans les structures petite enfance et jeunesse, ainsi qu’un accompagnement des associations locales.
- Garantir un accès équitable aux équipements et activités municipales.
- Former les agents municipaux et les acteurs du territoire, afin d’ancrer une approche transversale de l’égalité femmes-hommes dans l’ensemble des politiques publiques.
Quimperlé Communauté : un engagement intercommunal structuré
À l’échelle intercommunale, Quimperlé Communauté a structuré son engagement en faveur de l’égalité femmes-hommes avec un plan d’actions issu d’un travail approfondi réalisé en partenariat avec le cabinet Perfégal.
Quimperlé Communauté a structuré son engagement en faveur de l’égalité femmes-hommes avec un plan d’actions issu d’un travail approfondi réalisé en partenariat avec le cabinet Perfégal. Ce plan repose sur une analyse genrée des politiques publiques, mettant en évidence les écarts persistants dans des domaines tels que la culture, le sport ou encore la prévention des violences. Parmi les actions mises en place :
- Soutien actif aux communes membres : accompagnement dans la mise en œuvre de politiques locales égalitaires.
- Un réseau de 73 référents violences intrafamiliales (VIF), incluant 25 élus et 48 agents municipaux, formés à l’accompagnement et la prévention.
- Des ateliers de sensibilisation en milieu scolaire, pour promouvoir le respect et déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge.
- Actions de prévention en milieu festif, avec une augmentation significative des interventions (+62 % en 2023).
- Promotion de la mixité dans les métiers municipaux : mise en place du programme « Nos métiers n’ont pas de sexe » pour favoriser le recrutement des femmes dans les services techniques.
- Évaluation des écarts de rémunération : les femmes représentent 42 % des effectifs intercommunaux, mais restent minoritaires dans la filière technique, avec un écart salarial moyen de 73 € en leur défaveur.
Ces actions illustrent une approche structurée et mesurable, visant à faire de Quimperlé Communauté un territoire exemplaire en matière d’égalité femmes-hommes.
- Soutenir les communes membres dans la mise en place de politiques égalitaires.
- Créer un réseau d’acteurs locaux pour partager des outils et des bonnes pratiques.
- Encourager les entreprises locales à intégrer l’égalité dans leurs pratiques.
Un engagement politique et territorial nécessaire
L’égalité femmes-hommes ne se décrète pas, elle se construit. Si l’État peine à apporter des solutions efficaces, les collectivités démontrent qu’une action locale structurée peut produire des avancées concrètes. Ce sont elles qui, par des politiques adaptées aux réalités du terrain, permettent de dépasser les discours pour agir efficacement.
Le rapport complet de la Cour des comptes, intitulé « Les inégalités entre les femmes et les hommes, de l’école au marché du travail » (janvier 2025), est disponible en consultation ci-dessous :