Le 24 janvier 2025, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis à la demande de la commission des finances du Sénat sur l’assurance des dommages aux biens des collectivités. Son constat est sans appel : un marché verrouillé par deux acteurs principaux, Groupama et SMACL Assurances SA, et une intensité concurrentielle faible.
Face aux tensions croissantes et aux difficultés des collectivités à obtenir une couverture adaptée, l’Autorité propose plusieurs recommandations pour faciliter la mise en concurrence et l’accès aux assurances. Mais ces solutions semblent déconnectées des réalités du terrain, alors que les élus locaux font face à une crise inédite.
Un marché sous tension
Les collectivités territoriales ne sont pas légalement tenues de souscrire une assurance dommages pour leurs biens, mais la majorité le fait afin de se prémunir contre les risques financiers liés aux sinistres. Or, elles font face à une situation préoccupante : complexité des appels d’offres, hausse des primes, franchises alourdies et, dans certains cas, absence totale d’offres.
Une consultation menée par le Sénat révèle ainsi que 24 % des collectivités ayant lancé un appel d’offres depuis janvier 2023 n’ont reçu aucune réponse des assureurs. Depuis 2022-2023, de nombreuses communes se retrouvent avec des hausses de tarifs imposées, voire des résiliations unilatérales de contrats, parfois sans préavis suffisant pour relancer une procédure. Faute d’alternatives, elles sont contraintes d’accepter des avenants défavorables, augmentant encore la pression budgétaire sur des finances locales déjà mises à mal.
Un constat partagé par la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, qui estime que les collectivités ne peuvent pas attendre un retour hypothétique des assureurs et doivent, dès à présent, explorer d’autres pistes. Un audit mené auprès de 17 collectivités et établissements publics locaux souligne que la gestion des assurances doit devenir un enjeu prioritaire pour les exécutifs locaux et être portée par une direction des services mieux outillée.
Une crise qui dépasse la simple concurrence
Les difficultés des collectivités s’expliquent également par une crise plus large du secteur assurantiel, comme le souligne la Cour des comptes. Plusieurs éléments aggravent cette situation :
- Les émeutes urbaines de 2023 ont coûté 200 millions d’euros aux assureurs pour les collectivités, rendant le marché encore plus instable.
- Les primes d’assurance ont été multipliées par deux entre 2018 et 2024, alors que les garanties offertes se restreignent.
- La SMACL, l’un des principaux assureurs des collectivités, a connu de graves difficultés financières, entraînant une vague de résiliations unilatérales et des hausses tarifaires massives.
- Certaines collectivités se sont retrouvées sans assurance en 2024, faute d’offres disponibles, une situation inédite qui met en péril la couverture des biens publics.
Des recommandations qui ne répondent pas à l’urgence
Face à ce constat, l’Autorité de la concurrence formule sept recommandations, allant de l’amélioration de la connaissance des risques par les collectivités à l’allongement des délais de réponse aux appels d’offres. Elle encourage également le partage d’expériences entre collectivités et la mutualisation des services d’assistance à la maîtrise d’ouvrage.
Si ces propositions peuvent, à terme, aider à structurer le marché, elles restent en décalage avec la crise actuelle. Lorsqu’une collectivité voit son contrat résilié ou ne trouve pas d’assureur, le problème n’est pas une mauvaise préparation de l’appel d’offres, mais bien l’absence d’offres disponibles. Le rapport souligne d’ailleurs un déséquilibre structurel entre collectivités et assureurs, ces derniers se détournant du secteur jugé peu rentable, ce qui remet en question l’efficacité des seules mesures incitatives proposées.
Des leviers immédiats à mobiliser
Face à cette crise, certaines collectivités cherchent des solutions alternatives. Un rapport de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté suggère plusieurs pistes :
- Mutualiser les expertises au sein des intercommunalités afin de négocier collectivement des offres d’assurance plus avantageuses.
- Renforcer la gestion des assurances en interne, en formant des agents spécialisés ou en sollicitant l’appui d’assistants à maîtrise d’ouvrage pour sécuriser les contrats et optimiser les procédures.
- Réévaluer les risques à couvrir, en envisageant l’auto-assurance pour certains biens, comme les flottes automobiles ou l’assurance statutaire du personnel, une approche déjà adoptée par plusieurs collectivités.
- Investir dans la prévention, en améliorant la connaissance du patrimoine bâti et en mettant en œuvre des actions ciblées, notamment en matière de conformité incendie et de protection des bâtiments publics.
- Développer une approche collective face aux hausses de primes, certaines collectivités ayant déjà engagé des négociations groupées pour obtenir des conditions plus favorables auprès des assureurs.
Une intervention publique nécessaire ?
Alors que les collectivités sont toujours plus exposées aux risques climatiques et aux tensions budgétaires, la question d’un cadre d’intervention publique pour garantir la couverture des biens communs se pose avec acuité. Peut-on laisser des mairies sans assurance, faute d’un marché suffisamment attractif pour les assureurs ? Loin d’être un simple problème technique, cette crise interroge les responsabilités de l’État et la nécessité de mécanismes de solidarité pour sécuriser l’action des élus locaux.
Dans l’immédiat, les collectivités attendent des réponses plus concrètes que de simples ajustements des règles de mise en concurrence. Si rien n’est fait, certaines risquent de se retrouver dans une situation intenable, avec des biens non assurés et une vulnérabilité accrue face aux sinistres. À défaut d’une réponse nationale, certaines expérimentent déjà d’autres stratégies pour sécuriser leurs contrats. L’urgence est là, et les collectivités n’ont plus le luxe d’attendre.