Longtemps, la commune a incarné le socle de la démocratie française. C’est là que la République s’est enracinée, au plus près des habitants. Mais à l’approche des municipales de 2026, le constat est préoccupant : les maires se disent épuisés, la défiance citoyenne grandit, les listes électorales se remplissent difficilement. En 2023, plus de 13 000 élus municipaux, maires, adjoints et conseillers confondus, ont démissionné, dont 613 maires. L’Institut Terram a confié à Benjamin Morel, constitutionnaliste, une étude sur l’engagement citoyen, appuyée sur une enquête Ifop auprès de 10 000 Français. Elle décrit une démocratie municipale à l’épreuve et propose des pistes de réforme pour éviter son lent délitement.
Un mandat sous tension
La figure du maire reste la plus populaire des institutions républicaines. Les sondages confirment régulièrement que les Français font davantage confiance à leur maire qu’à leur député ou à un ministre. Mais cette confiance ne compense plus les difficultés du mandat. Les élus décrivent une fonction devenue trop lourde : surcharge administrative, normes complexes, injonctions contradictoires de l’État, raréfaction des dotations.
À cela s’ajoute un climat de défiance, parfois de violence. Les maires et conseillers sont exposés aux critiques en réunion, aux interpellations agressives dans la rue, aux débordements sur les réseaux sociaux. Certains subissent insultes ou menaces, d’autres vont jusqu’à être pris à partie physiquement. L’usure est réelle et nourrit une vague de démissions inédite.
Benjamin Morel parle d’une « double crise » : celle de l’engagement, avec la difficulté à recruter de nouveaux candidats, et celle du mandat, affaibli par un manque de reconnaissance et des conditions d’exercice de plus en plus rudes.
Le paradoxe français : un désir d’engagement qui subsiste
Malgré ce tableau sombre, le potentiel d’engagement existe encore. L’enquête Ifop menée auprès de 10 000 Français révèle qu’un quart des citoyens (24 %) se déclarent prêts à figurer sur une liste municipale. Ce chiffre, stable depuis vingt ans, contredit l’idée d’un désintérêt généralisé.
Les motivations sont claires : 47 % veulent « changer les choses de l’intérieur », 45 % « contribuer à la vie locale », 46 % « donner une voix aux oubliés », 44 % « contrebalancer des décisions jugées injustes ». Autrement dit, l’envie d’agir n’a pas disparu.
Mais entre l’intention et l’engagement effectif, le fossé est profond. Les freins sont connus : manque de temps (42 %), lourdeur des démarches (41 %), sentiment d’incompétence (39 %), difficulté à concilier mandat et vie familiale (38 %).
Des inégalités persistantes
Ces obstacles ne pèsent pas de la même manière sur tous. Les femmes restent sous-représentées : 20 % seulement des maires sont des femmes, et seules 17 % se disent prêtes à se présenter en 2026, contre 31 % des hommes. Beaucoup évoquent un sentiment d’illégitimité ou le poids de la charge familiale.
Les classes populaires sont elles aussi moins présentes : 21 % des employés envisagent une candidature, contre 30 % des cadres. Les contraintes matérielles, les horaires et le manque de moyens rendent l’engagement plus difficile.
Quant aux jeunes, ils affichent paradoxalement la plus forte disponibilité (29 % des moins de 35 ans prêts à candidater), mais se heurtent à la précarité professionnelle et à la mobilité, qui limitent leur projection dans la durée.
Une commune fragilisée par la centralisation et l’intercommunalité
Au-delà des individus, c’est l’institution communale elle-même qui est fragilisée. L’étude souligne combien la centralisation des décisions, la multiplication des normes et la baisse des dotations alimentent un sentiment d’impuissance.
L’étude souligne également que la montée en puissance des intercommunalités a transformé l’équilibre institutionnel local. Si ces structures ont permis de mutualiser des moyens et de renforcer certains projets, Benjamin Morel relève qu’elles ont aussi contribué, selon lui, à un effacement progressif des conseils municipaux. Un constat qui alimente le débat sur la place respective des différents échelons de la démocratie locale.
Trois scénarios pour demain
À partir de ce diagnostic, l’étude esquisse trois trajectoires possibles :
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Le délitement progressif : candidatures qui se raréfient, multiplication des listes uniques, abstention renforcée, affaiblissement du conseil municipal.
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La rationalisation technocratique : gestion recentrée sur l’intercommunalité, démocratie locale réduite à des consultations ponctuelles.
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La refondation civique : revalorisation du mandat, ouverture des candidatures, participation citoyenne accrue, retour du conseil municipal comme cœur de la démocratie.
Cinq leviers pour relancer l’engagement
Pour éviter que la première ou la deuxième option ne s’impose, l’étude propose cinq leviers d’action :
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valoriser le mandat municipal par une reconnaissance sociale et une rémunération plancher
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réduire les barrières d’entrée en simplifiant les démarches et en développant la formation
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encourager toutes les formes de participation, du budget participatif aux jurys citoyens
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recréer un écosystème civique local en soutenant la vie associative et les espaces de débat
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rééquilibrer les pouvoirs locaux en rendant aux communes des moyens réels face à l’État et aux intercommunalités
Une démocratie locale à reconstruire
La conclusion de l’étude est limpide : il ne suffit pas de remplir des listes électorales. Retisser la trame démocratique locale, c’est rendre au conseil municipal son rôle de premier lieu de vie démocratique, là où se confrontent projets, solidarités et conflits.
L’avertissement résonne comme une urgence. La République ne peut pas se permettre de laisser s’éroder l’échelon qui reste, malgré tout, le plus proche des citoyens. Revaloriser le mandat local, accompagner celles et ceux qui veulent s’engager, recréer des espaces de participation, ce n’est pas seulement préparer les municipales de 2026. C’est décider si, demain, la démocratie française pourra encore s’appuyer sur ses communes comme sur son cœur battant.
L’étude complète « Conseils municipaux : renouer avec l’engagement citoyen » est disponible sur le site de l’Institut Terram.