DÉCENTRALISATION : LES PRÉFETS MIS À CONTRIBUTION, LES ÉLUS DEMEURENT PRUDENTS

Le « nouvel acte de décentralisation » promis par le Premier ministre a franchi une étape : après un appel à contributions adressé en septembre aux présidents de région, de département et aux associations nationales d’élus, Matignon sollicite désormais les préfets. Une circulaire datée du 28 octobre 2025 leur demande de formuler, d’ici le 15 novembre, des propositions sur la clarification des compétences, le renforcement de la déconcentration et la simplification du droit applicable aux collectivités. Le gouvernement vise un début d’examen au Sénat avant les municipales de mars 2026.

Dans ce document, le Premier ministre fixe un cap : « chaque service public doit être incarné par une autorité identifiée, disposant des moyens pour son action », qu’il s’agisse d’un ministre, d’un préfet ou d’un élu local. Formellement, l’intention est de rendre lisible qui fait quoi ; politiquement, la formulation place le préfet au même niveau que l’élu, ce qui alimente les interrogations sur une « reconcentration douce ». Sept champs sont désignés comme prioritaires : santé, urbanisme, logement, transports, culture, tourisme et sport.

Cette séquence s’inscrit dans un mouvement déjà engagé : à l’été, trois décrets du 30 juillet 2025, suivis d’une circulaire du 5 septembre, ont renforcé l’autorité préfectorale en matière de coordination des services de l’État, de participation aux nominations et de pilotage local des opérateurs. Ce socle de déconcentration est désormais présenté comme l’un des piliers du « nouvel acte ».

Côté méthode, le contraste saute aux yeux. En septembre-octobre, les associations d’élus et exécutifs régionaux et départementaux ont été invités à transmettre des contributions écrites ; fin octobre, l’instruction part vers les préfets, avec un bilan attendu des réformes d’été et des propositions opérationnelles. À ce stade, aucune nouvelle phase formelle de concertation publique avec les associations n’est annoncée avant le dépôt du texte, même si des échanges informels ne sont pas exclus. Pour les élu·es, l’enjeu est clair : ne pas être cantonnés à l’amont symbolique, pendant que la rédaction s’opère principalement par l’appareil d’État déconcentré.

Le calendrier ajoute une dimension politique : le gouvernement vise un passage au Sénat avant les municipales. L’intention affichée est d’aller vite pour « clarifier et responsabiliser ».  Mais beaucoup d’élus rappellent que la liberté locale sans moyens ni lisibilité financière reste théorique. Plusieurs prises de parole récentes, à l’AMF comme dans la presse spécialisée, insistent sur la nécessité d’un pouvoir d’agir réel et d’une concertation de fond, au-delà des consultations écrites.

Derrière les mots de « clarification » et de « simplification », le gouvernement semble surtout renouer avec une logique d’uniformisation. La réforme pourrait apporter de la lisibilité, à condition qu’elle respecte la diversité des territoires et la liberté d’action locale.

Le renforcement du rôle du préfet, déjà engagé par les décrets de juillet, rouvre la question du partage du pouvoir entre l’État et les collectivités. Coordination ou tutelle ? Les élu·es savent que la frontière est fragile, surtout quand les moyens d’agir ne sont pas les mêmes partout.

Quant à la promesse de simplification, elle ne convaincra que si elle permet aux territoires d’ajuster les règles à leurs besoins, au lieu d’ajouter de nouvelles contraintes.Les collectivités n’attendent plus de nouvelles annonces, mais des choix clairs, faits avec elles plutôt que pour elles.

Au bout du compte, tout se jouera dans la relation entre l’État et les territoires. Faire vivre la décentralisation, c’est reconnaître la légitimité de ceux qui agissent au plus près des citoyens et leur donner les moyens d’agir. Reste à voir si le texte à venir ouvrira cette voie ou s’il confirmera le retour d’un pilotage depuis Paris. Les élu·es locaux, eux, savent ce qu’ils attendent : de la liberté et de la considération.

Document source à consulter : Circulaire du 28 octobre 2025 adressée aux préfets

Posted in Actu, Actualités, Décentralisation, Dossiers Thématiques.