POLITIQUE DE LA VILLE : QUAND LES COMMUNES DOIVENT TENIR MALGRÉ LES INTERRUPTIONS

C’est une réalité que connaissent bien les élus des quartiers populaires : rien n’est jamais acquis très longtemps. Une action lancée avec enthousiasme peut s’arrêter du jour au lendemain faute de crédits. Un poste d’adulte-relais disparaît alors qu’il commençait à trouver sa place. Une équipe de réussite éducative passe un trimestre à se demander si elle existera encore l’année suivante. Cette instabilité permanente, Viviane Artigalas, sénatrice socialiste et rapporteure pour la politique de la ville, la décrit très bien dans son analyse du budget 2026. Dans son rapport sur les crédits de la politique de la ville, la sénatrice souligne que cette succession de “stops and go” est devenue la norme pour de nombreux acteurs locaux. Les collectivités doivent souvent « construire dans les interruptions ».

Le budget n’échappe pas à cette logique. Il augmente un peu, et c’est en soi une bonne nouvelle. Les crédits progressent d’environ 6 %, ce qui tranche avec les années de sous-financements répétés. Le rapport salue cette hausse, mais rappelle qu’elle reste modeste au regard de l’inflation et des besoins croissants dans les quartiers prioritaires. Cette progression ne suffit donc pas à offrir la stabilité attendue. Dans beaucoup de communes, les équipes sont usées par les à-coups, les appels à projets successifs, les financements en pointillés. On ne construit pas une politique publique durable quand les acteurs locaux travaillent en se demandant si leur dispositif tiendra jusqu’à l’été.

Le cas des « Quartiers d’été » illustre parfaitement cette fragilité. On passe de 30 millions d’euros l’an dernier à seulement 5 millions en 2026. Sur une ligne budgétaire, c’est une variation parmi d’autres. Sur le terrain, c’est tout autre chose. Ce sont des gymnases qui n’ouvriront pas, des ateliers qui ne verront pas le jour, des jeunes qui resteront dans leur quartier faute d’activités. Rien qui fasse la une des journaux, mais dans les mairies on mesure immédiatement ce que cela change.

À l’inverse, certains dispositifs sont confortés, et cela compte. Les cités éducatives, les équipes de réussite éducative et les adultes-relais sont maintenus. Dans un secteur où tant d’actions reposent sur l’humain, sur un médiateur qui connaît bien les familles, sur une présence quotidienne dans les écoles ou dans les cages d’escalier, cette continuité n’a rien d’anodin. C’est même ce qui permet aux projets de ne pas repartir de zéro à chaque rentrée. Le rapport insiste particulièrement sur ce point : maintenir ces dispositifs, c’est éviter que des liens patiemment construits se défassent et que les familles aient à réexpliquer, à chaque changement d’équipe, des situations déjà difficiles.

La rénovation urbaine bénéficie elle aussi de moyens supplémentaires. L’ANRU voit son enveloppe renforcée, ce qui doit donner un peu d’air aux communes qui portent des projets lourds, souvent attendus depuis longtemps. Mais Viviane Artigalas rappelle que la contribution de l’État reste très éloignée des engagements initiaux du NPNRU, et que de nombreuses opérations risquent de prendre du retard si ces financements complémentaires ne sont pas consolidés. La sénatrice socialiste plaide même pour l’ouverture d’un troisième programme de rénovation urbaine afin d’éviter une période creuse entre les dispositifs. Dans plusieurs quartiers, on sent de la lassitude. Les habitants attendent surtout que les travaux se concrétisent. L’affichage budgétaire ne règle pas tout, mais il offre au moins la perspective de chantiers qui avancent.

Dans l’ensemble, le budget 2026 ne renverse pas la table. Il corrige certaines failles, en laisse d’autres ouvertes, et s’inscrit dans une logique un peu paradoxale : maintenir ce qui tient, tout en laissant subsister un niveau d’incertitude qui fatigue les communes. C’est exactement ce que pointe Viviane Artigalas, qui alerte également sur le risque d’interruption en début d’année 2026 si la signature des nouveaux contrats de ville devait être décalée, faute de textes opérationnels finalisés à temps. Pour que les politiques de la ville produisent des effets durables, il faut de la stabilité, pas une succession de campagnes annuelles où chacun doit justifier son existence pour obtenir des crédits.

Les élus locaux le savent mieux que personne. Ils voient les effets du manque de continuité : des médiateurs qui ne peuvent pas rester, des équipes qui changent trop souvent, des habitants qui ne comprennent plus pourquoi une action disparaît. À force de devoir recoller les morceaux, les communes finissent par porter seules la cohérence d’un système qui devrait être partagé avec l’État.

L’année 2026 ne sera pas une année de rupture, mais elle dira une fois de plus cette vérité simple : là où les dispositifs s’interrompent, ce sont les communes qui servent de fil conducteur. Et c’est sans doute là que se joue, silencieusement, la véritable politique de la ville.

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