Un chiffre inédit révèle la fragilité du mandat local : plus de deux mille maires ont jeté l’éponge depuis 2020, sans attendre l’échéance électorale de 2026. Fatigue, tensions internes, solitude… Ce phénomène n’épargne pas le Finistère. À un an des municipales, la reconnaissance du rôle des élus de proximité devient un enjeu démocratique majeur.
Une hémorragie silencieuse, révélée par les chiffres
Depuis l’installation des conseils municipaux en juillet 2020, 2 189 maires ont démissionné, selon une étude conjointe du Cevipof (Sciences Po) et de l’Association des maires de France. Cela représente une moyenne de 417 démissions par an, soit plus d’une par jour, un chiffre multiplié par quatre par rapport au mandat 2008–2014 (129 démissions par an).
Cette vague sans précédent confirme la fragilisation croissante de la fonction, et la difficulté à exercer sereinement un mandat pourtant central dans la vie démocratique locale.
Des causes claires, loin des idées reçues
Les auteurs de l’étude ont croisé les données du répertoire national des élus avec la presse régionale et des témoignages directs. Trois grandes causes de démission émergent :
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Les tensions internes au sein du conseil municipal : 30,9 % des cas
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Les passations de pouvoir anticipées : 13,7 %
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Les problèmes de santé physique (13,1 %) ou mentale (5,1 %)
Contrairement à l’image véhiculée dans certains discours publics, les violences ou intimidations ne sont à l’origine que d’une quarantaine de démissions. Le climat anxiogène est réel, mais ne constitue pas, dans la majorité des cas, un facteur direct de rupture.
Des profils et territoires plus exposés
Le phénomène touche toutes les strates communales, mais les communes de 1 000 à 3 500 habitants concentrent un quart des démissions, souvent pour des raisons politiques.
Les communes de moins de 500 habitants représentent 41,7 % des cas, mais sont proportionnellement moins exposées (5 %) que les communes de plus de 10 000 habitants, dont le taux de démission atteint 11,5 %.
Les maires démissionnaires sont le plus souvent âgés de 55 à 64 ans, encore actifs professionnellement, et primo-élus dans plus d’un cas sur deux. L’étude évoque une déception institutionnelle parmi ces élus de première fois, souvent empêchés de concrétiser leurs projets par les lourdeurs du mandat.
Le Finistère également concerné
Le phénomène n’épargne pas notre territoire. À Gourlizon, dans le Cap-Sizun, la maire a choisi de mettre fin à son mandat après plus d’une décennie d’engagement. Elle déclarait à la presse : « Je suis épuisée. Il était temps que je pense à moi et me protège. »
Son parcours reste emblématique de cette fatigue démocratique qui traverse de nombreux maires engagés au service de l’intérêt général, souvent porteurs d’une vision sociale et humaniste de l’action municipale.
Un mandat miné par les crises
Ce mandat aura été marqué par une série de crises inédites : crise sanitaire, mise en place retardée des équipes municipales, instabilité politique nationale, et restrictions financières croissantes.
Les chercheurs notent que le pic de démissions est atteint à mi-mandat, avec un record en 2023 (613 départs). Depuis, la tendance diminue légèrement à l’approche de 2026, sans pour autant se résorber.
Une autre forme d’usure, silencieuse mais redoutable
Beaucoup d’élus évoquent une inflation normative qui pèse lourd sur l’exercice du mandat. La complexité croissante de la législation, les exigences accrues en matière de concertation ou de responsabilité, les injonctions contradictoires entre l’État et les territoires… Autant d’éléments qui renforcent le sentiment d’isolement et de surcharge, en particulier dans les petites communes sans administration dédiée.
L’urgence de réformer le statut de l’élu local
Cette étude intervient à un moment charnière : la proposition de loi sur le statut de l’élu local doit être débattue début juillet à l’Assemblée nationale, en session extraordinaire.
Elle vise à :
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renforcer la protection fonctionnelle des élus
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mieux accompagner les transitions de mandat
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permettre une conciliation plus équilibrée entre vie personnelle, professionnelle et engagement public
Défendre l’engagement local, c’est défendre la République
Les maires qui jettent l’éponge ne sont pas désengagés. Ils sont, au contraire, le signal d’alerte d’une démocratie locale mise sous pression.
À un an des municipales, il est temps de redonner sens et souffle à la fonction d’élu de proximité.
On parle beaucoup de “réenchanter la démocratie”. Commençons peut-être par ne plus décourager ceux qui la font vivre, chaque jour, dans nos mairies.