Face à des déficits financiers abyssaux et à l’inaction de l’État, 16 maires bretons ont pris une décision historique : saisir la justice pour dénoncer le manque de soutien au financement de leurs Ehpad. Après l’échec d’une médiation avec l’Agence Régionale de Santé de Bretagne et l’absence totale de réponse de la part de l’État, les élus n’ont eu d’autre choix que de porter l’affaire devant le tribunal administratif de Rennes. Soutenus par les quatre conseils départementaux bretons, ils espèrent désormais faire reconnaître leur préjudice, qui pourrait atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros.
Une situation financière intenable
Pour les maires bretons, la situation des Ehpad publics n’est plus tenable. Les déficits financiers se sont accumulés au point d’atteindre des montants « à sept chiffres », principalement en raison des charges salariales des personnels que l’État n’assume pas entièrement. Cette impasse financière met les établissements publics en grande difficulté, les rendant incapables de faire face à leurs obligations sans un soutien significatif de la part de l’État. Selon Xavier Compain, maire de Plouha dans les Côtes-d’Armor, certains Ehpad affichaient déjà des déficits de 600 000 euros en juin 2024. Au total, les 16 communes plaignantes estiment le préjudice à 7 millions d’euros. D’ici la fin de l’année, une cinquantaine de communes bretonnes devraient rejoindre l’action, portant ainsi le montant total du préjudice à 50 millions d’euros.
Ce manque de financement affecte directement la qualité des soins et la dignité des personnes âgées dans les Ehpad publics, une priorité pour les élus locaux. Ces derniers se battent pour offrir des conditions de prise en charge acceptables. Environ 70 % des établissements publics bretons sont aujourd’hui en déficit, accentuant les difficultés. Cette situation devient d’autant plus critique que des groupes privés se positionnent pour racheter ces établissements, menaçant ainsi leur mission de service public.
L’État et l’ARS mis en cause pour leur refus de négocier
Devant l’urgence de la situation, les maires ont tenté d’engager une conciliation avec l’État. Conformément à la procédure légale, après le dépôt de leurs demandes d’indemnités préalables à la mi-juillet, un délai de deux mois était prévu pour permettre à l’État, via l’Agence Régionale de Santé, de répondre et de négocier une issue amiable. Cette phase de négociation aurait pu aboutir à des discussions pour trouver des solutions aux déficits accumulés, notamment sur la question des charges salariales et des financements ponctuels insuffisants. Cependant, aucune réponse n’a été apportée par l’ARS pendant ce délai. Face à ce refus implicite de dialogue, les élus ont donc été contraints de se tourner vers la justice.
Le 13 septembre, les 16 premières communes ont saisi le tribunal administratif de Rennes, estimant qu’une action judiciaire était désormais leur seule option pour obtenir réparation des préjudices subis.
Un soutien départemental décisif
L’été 2024 a marqué un tournant dans cette affaire, avec le soutien des quatre départements bretons. Bien que non impliqués directement dans la procédure judiciaire, ces départements se sont engagés à appuyer la démarche des communes en fournissant des relevés de conclusions. Ils partagent le même constat : les efforts actuels pour soutenir les Ehpad sont insuffisants.
Ce soutien des départements marque une étape clé dans l’action des élus, révélant l’ampleur d’une crise qui exige une réponse à une échelle plus large.
Les griefs des communes contre l’État et l’ARS
Dans leur requête, les élus bretons dénoncent trois types de préjudices subis par leurs communes. Tout d’abord, un préjudice financier, directement lié à l’insuffisance des financements publics. Les charges salariales non prises en charge par l’État pèsent lourdement sur les budgets des Ehpad, entraînant des déficits qui peuvent atteindre plusieurs millions d’euros. Le collectif des maires estime que ce sous-financement met en péril la pérennité même de ces établissements.
Ensuite, un préjudice de gestion est invoqué. En effet, l’État attribue des crédits dits « non reconductibles », souvent tardivement, en septembre, ce qui empêche les gestionnaires des Ehpad d’avoir une visibilité claire sur leurs budgets annuels. Ce système de financement par aides ponctuelles crée une instabilité qui rend impossible toute planification à long terme, fragilisant encore davantage la gestion des établissements. Pour Annie Bras-Denis, maire de Plouaret, l’absence de crédits non reconductibles complique sérieusement la gestion des Ehpad, rendant l’équilibre budgétaire des communes de plus en plus difficile à atteindre.
Enfin, un préjudice d’image est également avancé. Les maires se retrouvent en première ligne des critiques de leurs administrés, qui leur reprochent l’état des Ehpad et les conditions parfois dégradées dans lesquelles vivent les résidents. Pourtant, ce sont les élus locaux qui subissent les conséquences de l’inaction de l’État, alors même qu’ils luttent pour maintenir un service public de qualité. Jean-Louis Even, maire de La Roche-Jaudy, refuse de voir les maires être perçus comme les « fossoyeurs » des Ehpad. Les élus locaux ne veulent pas être tenus responsables de l’échec d’un système que l’État refuse de réformer en profondeur.
Une mobilisation qui s’étend
Le collectif « Maires et territoires en résistance pour le grand âge » gagne en force, attirant de plus en plus d’élus déterminés à défendre leurs Ehpad face à un État jugé défaillant. Le mouvement, initié en Bretagne, s’étend désormais au-delà des frontières régionales, avec des communes de l’Hérault et de la Gironde qui envisagent de se joindre à l’action.
Les maires, proches du terrain, refusent de laisser leurs établissements publics tomber dans les mains du secteur privé. Ils craignent que la privatisation des Ehpad n’accentue les inégalités d’accès et ne transforme ces structures en services réservés aux plus fortunés. Leur objectif est de préserver un service public d’excellence, accessible à tous, et de garantir que les personnes âgées puissent être accueillies dans des conditions dignes, quelle que soit leur situation financière.
Une journée nationale de mobilisation le 24 septembre
Le 24 septembre 2024, une mobilisation nationale intitulée « Les Vieux méritent mieux » rassemblera des établissements médico-sociaux à travers tout le pays. Organisée par la Fnadepa et soutenue par plusieurs grandes fédérations du secteur médico-social, cette journée a pour but de sensibiliser les pouvoirs publics à l’urgence de réformer la prise en charge du Grand âge et de garantir des financements pérennes pour les Ehpad et les services d’aide à domicile.
Les actions débuteront à 15h par des sit-ins organisés devant les établissements, où professionnels, familles, résidents et élus seront invités à se mobiliser ensemble. Ces événements seront largement relayés sur les réseaux sociaux sous le hashtag #UrgenceGrandAge. Parallèlement, des conférences de presse auront lieu aux niveaux national, régional et départemental afin de maximiser l’impact de cette mobilisation sur l’opinion publique et d’attirer l’attention des responsables politiques.
« La démocratie, c’est le pouvoir des élus locaux, les hommes de terrain qui agissent au plus près des citoyens. »
Ces mots de François Mitterrand trouvent un écho particulier aujourd’hui, alors que les maires bretons, en première ligne, mènent un combat décisif pour leurs territoires, face à l’indifférence de l’État.