La coopération intercommunale en Bretagne : un modèle de décentralisation en mouvement

« Existe-t-il un modèle breton de la décentralisation ? » C’est la question qu’a posée Romain Pasquier, responsable de la chaire Territoires et Mutations de l’Action Publique de Sciences à Po Rennes, à l’occasion d’une journée d’étude, organisée, en collaboration avec Brest Métropole le mercredi 9 octobre.

Cet événement a réuni élus, experts et acteurs locaux pour apporter leurs visions et leurs expériences sur la gouvernance territoriale en Bretagne et réfléchir aux défis actuels et futurs de la coopération intercommunale.

Parmi les moments marquants de la journée, une table ronde consacrée à la coopération intercommunale a permis de mettre en avant les réussites et les défis liés à cette dynamique en Bretagne. Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix et président de Morlaix Communauté a partagé la scène avec Sébastien Miossec, maire de Riec-sur-Belon, président de Quimperlé Communauté et président délégué d’Intercommunalités de France, et Yohann Nédélec, président du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) . Ensemble, ils ont livré un portrait riche et équilibré de l’intercommunalité finistérienne, en soulignant à la fois les réussites et les défis, entre héritage historique et adaptation aux défis contemporains.

Un héritage de coopération profondément enraciné

La Bretagne est depuis longtemps une terre de coopération et de mutualisme. Cette tradition s’enracine dans les mouvements agricoles et mutualistes du XXᵉ siècle, où les agriculteurs ont su s’unir pour créer des coopératives, partager des ressources et renforcer leur position économique. Cette culture de l’entraide s’est naturellement étendue aux collectivités locales, qui ont rapidement compris l’importance de travailler ensemble pour répondre aux besoins de leurs habitants.

Sébastien Miossec a d’ailleurs souligné que cette culture de la coopération n’est pas nouvelle. Depuis plus d’un siècle, les communes bretonnes collaborent à travers diverses structures, des syndicats intercommunaux aux communautés de communes. La création précoce de structures à fiscalité propre, comme la Communauté Urbaine de Brest (CUB) il y a tout juste 50 ans, témoigne de cette volonté d’innovation institutionnelle. La Bretagne a ainsi souvent été à l’avant-garde en matière de décentralisation, développant des modèles de gouvernance adaptés à ses spécificités territoriales.

Les défis actuels de la coopération intercommunale

La tradition de coopération en Bretagne, ancrée dans les pratiques mutualistes du XXᵉ siècle, a su évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux auxquels sont confrontées les collectivités locales. Cependant, la coopération intercommunale, si ancrée dans l’histoire, doit aujourd’hui s’adapter à un contexte en mutation rapide. En effet, les intercommunalités sont désormais responsables de compétences essentielles telles que l’eau, l’assainissement, les déchets, le transport ou encore l’urbanisme. Cette concentration de responsabilités, bien qu’indispensable pour répondre aux défis contemporains, pose également des questions de gouvernance et de légitimité démocratique.

Dans ce cadre, Yohann Nédélec a rappelé que la fonction publique territoriale joue un rôle central dans cette transformation. Les agents territoriaux, véritables piliers de l’action publique locale, sont au cœur de la mise en œuvre des politiques décidées au niveau intercommunal. Toutefois, il a également mis en avant les défis de recrutement auxquels font face les collectivités, particulièrement dans les petites communes bretonnes. Les départs massifs à la retraite et la difficulté d’attirer de nouveaux talents créent une pression supplémentaire sur les services publics locaux.

Jean-Paul Vermot, quant à lui, a insisté sur la nécessité de repenser les modes de gouvernance pour renforcer la légitimité démocratique des intercommunalités. Selon lui, une plus grande transparence dans les processus décisionnels et une meilleure implication des élus locaux sont essentielles pour garantir une coopération efficace. Les maires, en tant qu’acteurs de proximité, ont un rôle crucial à jouer dans ce processus, en relayant les préoccupations de leurs administrés et en participant activement aux décisions intercommunales.

Vers une métropole diffuse et des collaborations renforcées

La Bretagne se distingue par un maillage territorial équilibré, sans domination d’une métropole centrale. Cette configuration favorise une répartition plus équitable des ressources et encourage les collaborations entre territoires. Le concept de « métropole diffuse », évoqué lors de la table ronde, repose sur une répartition des fonctions métropolitaines entre plusieurs villes plutôt que sur leur concentration dans un seul pôle urbain.

Des exemples concrets illustrent le succès de cette approche. Morlaix Communauté, présidée par Jean-Paul Vermot, a développé des partenariats solides avec Brest Métropole. Cette collaboration a permis de mutualiser les ressources et l’ingénierie pour des projets ambitieux en matière d’aménagement urbain, de logement social ou de développement économique. De même, Quimperlé Communauté, sous la direction de Sébastien Miossec, travaille étroitement avec d’autres intercommunalités pour améliorer la mobilité, développer les infrastructures numériques et soutenir les initiatives culturelles.

La nécessité d’une gouvernance adaptée et d’une participation citoyenne renforcée

La montée en puissance des intercommunalités pose la question de la gouvernance et de la démocratie locale. Comment assurer une représentation équitable de toutes les communes, grandes ou petites, au sein des structures intercommunales ? Comment impliquer les citoyens dans les décisions qui les concernent ?

Sébastien Miossec a plaidé pour une politisation assumée de l’intercommunalité. Selon lui, reconnaître la dimension politique des intercommunalités permet de clarifier les débats, de présenter des projets cohérents et de renforcer la responsabilité des élus. Il s’agit de dépasser les clivages traditionnels pour travailler ensemble au service du territoire.

Yohann Nédélec a insisté sur le rôle du CNFPT dans l’accompagnement des agents territoriaux et des élus. En proposant des formations adaptées aux nouveaux enjeux, notamment en matière de transition écologique, d’urbanisme et de numérique, le CNFPT contribue à renforcer les compétences et à soutenir l’innovation au sein des collectivités.

Répondre aux enjeux environnementaux par la coopération

La Bretagne est particulièrement concernée par les effets du changement climatique. L’érosion côtière, la montée des eaux et les événements climatiques extrêmes représentent des menaces réelles pour les territoires littoraux. Face à ces défis, la coopération intercommunale apparaît comme indispensable.

Les intercommunalités peuvent mutualiser les moyens, partager les compétences et coordonner les actions pour une efficacité accrue. Des initiatives, telles que les travaux du Pays de Brest sur le trait de côte, illustrent cette dynamique. Il s’agit de mettre en place des stratégies d’adaptation, de promouvoir les énergies renouvelables et de sensibiliser les habitants aux enjeux environnementaux.

Perspectives pour l’avenir de la coopération intercommunale en Bretagne

Les intervenants ont convergé sur l’idée que la Bretagne possède les atouts pour relever les défis du XXIᵉ siècle. Sa tradition de coopération, son dynamisme territorial et la volonté de ses acteurs locaux sont autant de leviers pour construire un avenir durable.

Il est essentiel d’innover dans les modes de gouvernance, de renforcer la solidarité entre les territoires et d’investir dans la transition écologique et numérique. Les intercommunalités doivent être des espaces de dialogue, de concertation et de décision, où les élus, les agents et les citoyens travaillent ensemble pour le bien commun.

Cette discussion a permis de souligner les particularités et les forces de la coopération intercommunale.  Si la région bénéficie d’un héritage solide en matière de mutualisme et de collaboration, elle doit aujourd’hui s’adapter à un contexte en mutation rapide.

Les défis sont nombreux : renforcer la démocratie locale, répondre aux enjeux environnementaux, attirer et former de nouveaux talents, innover pour répondre aux attentes des citoyens. Mais les réussites déjà accomplies, surtout en Finistère, témoignent que la Bretagne a les ressources et la volonté pour relever ces défis.

La coopération intercommunale, loin d’être une simple structure administrative, est un levier puissant pour construire un avenir durable et solidaire. En misant sur l’intelligence collective, en valorisant les compétences locales et en impliquant les habitants, notre territoire peut continuer à être un modèle en matière de décentralisation et de gouvernance territoriale.

Cet atelier a révélé des perspectives inspirantes, illustrant la vitalité démocratique du Finistère et sa capacité à innover collectivement pour bâtir les réponses de demain.

 

 

 

 

 

 

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