Le gouvernement a dévoilé son plan anticorruption pour 2025-2029. Un document massif, très administratif, mais qui comporte plusieurs passages qui, eux, parlent directement aux communes. Rien de spectaculaire à première vue, mais beaucoup d’éléments qui peuvent modifier le quotidien des élus et des agents, surtout dans les petites collectivités qui n’ont ni juriste, ni acheteur public, ni cellule conformité.
Si l’on met de côté la communication officielle, une chose ressort clairement : les collectivités locales sont au cœur du sujet. Et ce n’est pas un hasard. Ces dernières années, plus de 40 % des condamnations pour atteinte à la probité ont concerné des acteurs du secteur local. Pas parce que les élus seraient plus malhonnêtes qu’ailleurs, mais parce qu’ils exercent dans des environnements où les risques sont nombreux et les moyens souvent limités.
Alors, que doivent retenir les communes ? Voici l’essentiel, sans vernis institutionnel.
1. La prise illégale d’intérêts, enfin un peu de clarté
Voilà un sujet qui revient systématiquement dans les formations d’élus. La prise illégale d’intérêts est devenue un épouvantail, parfois à raison, parfois par excès de prudence. Le plan annonce une clarification importante : on ne parlera plus de prise illégale d’intérêts lorsqu’un conflit oppose deux intérêts publics.
C’est un point majeur. Un maire qui siège à l’EPCI ne serait donc plus dans la zone grise permanente dès qu’un vote touche sa propre commune. De nombreuses situations du quotidien cesseraient ainsi de s’apparenter à un terrain miné.
Ce qui reste strictement interdit
- intervenir dans une décision où l’élu ou un proche a un intérêt privé
- influencer un marché, un recrutement ou une subvention qui bénéficie à un proche
- profiter d’une fonction pour se créer un avantage personnel, même indirect
Un exemple très parlant :
Imaginez une délibération de l’EPCI pour attribuer une subvention à une commune membre. Aujourd’hui, l’élu qui représente cette commune doit souvent sortir de la salle par précaution. Le plan indique que ce type de situation pourrait sortir du champ pénal puisqu’il s’agit d’un conflit entre deux intérêts publics. Cela ne dispense pas d’un déport éthique si la situation le nécessite, mais l’épée de Damoclès pénale s’éloigne.
De quoi respirer un peu, sans relâcher la vigilance.
2. Marchés publics : la transparence devient incontournable
Les collectivités sont déjà tenues de publier les données essentielles de leurs marchés. Pourtant, dans la réalité, les oublis sont fréquents. Petits marchés oubliés, avenants non publiés, retards, absence d’archivage numérique, mauvaise compréhension des seuils. Rien de volontaire, souvent juste un manque de temps ou de moyens.
Le plan va plus loin. L’État envisage de recenser les collectivités qui respectent ou non leurs obligations de publication. Dit autrement, il pourrait exister demain une sorte de tableau de bord national qui indique qui publie correctement et qui ne le fait pas.
Pour une commune, cela signifie
- vérifier régulièrement la publication des montants, titulaires, durées et objets des marchés
- intégrer l’obligation dans les procédures internes pour éviter les erreurs
- anticiper la possibilité qu’un contrôle pointe un défaut de publication
Un exemple d’erreur courante.
Beaucoup de communes publient le marché initial mais oublient les avenants. Or un avenant supérieur à 10 % du montant nécessite une publication spécifique. Un contrôle pourrait le relever très facilement.
3. Des outils utiles, gratuits et encore sous utilisés
C’est l’une des parties les plus concrètes du plan. L’AFA a mis au point plusieurs outils pensés pour les communes, mais encore très peu utilisés sur le terrain.
Les guides pratiques
Ils couvrent les grandes zones de risque : subventions, commande publique, gestion des EPL, urbanisme. Ils donnent des cas concrets, très utiles pour éviter les erreurs d’appréciation.
Probi Cités
Un outil d’autoévaluation destiné aux maires. En dix minutes, il mesure la solidité du dispositif de prévention de la commune. Il pointe souvent des manques simples à corriger, comme :
- absence de registre des déports
- absence de procédure de signalement interne
- absence de clauses anticorruption dans les marchés
- agents de la commande publique jamais formés à la probité
Les MOOC de formation
En partenariat avec le CNFPT, l’AFA propose des formations courtes et gratuites pour les élus et les agents. Elles permettent d’aborder des cas pratiques orientés collectivité.
4. Des contrôles qui vont se renforcer
Le plan n’a pas besoin de l’annoncer très fort : on comprend que les contrôles de l’AFA vont monter en puissance. L’idée n’est pas de sanctionner pour sanctionner mais de vérifier que les collectivités disposent d’un minimum de garde fous.
Un contrôle pourrait porter sur
- la publication des données de marchés
- le respect de la transparence des subventions
- l’existence d’un registre de déports
- la mise en place d’une procédure de signalement interne
- la formation des agents en charge de la commande publique
- la traçabilité des décisions sensibles
Ce ne sont pas des exigences insurmontables. Elles demandent surtout de la méthode et un peu d’anticipation.
5. Les partenaires de la collectivité entrent aussi dans le champ
Les risques ne concernent pas uniquement la mairie. Ils concernent aussi les structures partenaires :
- associations subventionnées
- délégataires de service public
- entreprises publiques locales
- prestataires et opérateurs travaillant pour la commune
Cela implique :
- d’intégrer des clauses anticorruption dans les contrats
- de vérifier que les associations subventionnées tiennent une comptabilité claire
- de demander aux EPL un minimum de transparence interne
- de sécuriser les zones de vulnérabilité connues dans les DSP et concessions
6. Pour les petites communes, une montée en compétence réaliste
Dans beaucoup de communes rurales ou semi rurales, le ou la secrétaire de mairie fait déjà tout : marchés publics, urbanisme, ressources humaines, paie, accueil, communication. La prévention de la corruption ne va pas se rajouter comme une couche entière. Elle peut être intégrée progressivement.
L’essentiel pour une petite commune
- tenir un registre simple des déports
- publier correctement les marchés et avenants
- utiliser Probi Cités pour identifier les manques
- suivre une formation courte via le CNFPT
- documenter les décisions sensibles
On ne demande pas une usine à gaz. On demande une démarche réelle, même simple.
Ce que ce plan change pour un élu
Pour un élu, à retenir
- la prise illégale d’intérêts devient un peu plus lisible, donc moins anxiogène
- les obligations de transparence vont être scrutées, mieux vaut être à jour
- les contrôles AFA seront plus présents, mais viseront surtout l’existence de procédures minimales
- des outils simples existent pour sécuriser la commune, et ils sont gratuits
- les partenaires de la collectivité devront eux aussi être un peu mieux encadrés
Ce plan anticorruption n’est pas une révolution, mais il marque une évolution importante. Il clarifie ce qui devait l’être, renforce ce qui devait l’être et donne aux communes les moyens de sécuriser leurs pratiques sans leur demander l’impossible.
Dans un contexte où les élus sont souvent en première ligne et parfois fragilisés par des mises en cause injustes, disposer d’un cadre lisible est une protection. Cela permet de travailler sereinement, de documenter ses choix et de poursuivre l’action publique sans craindre qu’une erreur d’appréciation ne se transforme en mise en cause.


