PESTICIDES : L’INDÉPENDANCE DE L’ANSES SOUS PRESSION, LE GOUVERNEMENT EN FLAGRANT DÉLIT DE CONTOURNEMENT

Un décret publié discrètement le 10 juillet, en plein creux parlementaire. Une décision qui n’a l’air de rien, mais qui fait beaucoup parler. Et pour cause : en ordonnant à l’Anses de « tenir compte » des priorités fixées par le ministère de l’Agriculture pour autoriser les pesticides, le gouvernement rouvre par la bande ce que le Parlement avait explicitement refermé quelques jours plus tôt.

C’est un coup de force, l’exécutif ne s’en cache même plus : l’indépendance gêne. Quand elle ralentit, questionne, bloque, elle devient suspecte. Alors on la contourne.

Jusqu’ici, l’Anses traitait les demandes d’autorisation de pesticides dans l’ordre d’arrivée. Désormais, elle devra « prioriser » certains produits, jugés stratégiques pour les cultures, selon une liste arrêtée… par l’exécutif. Officiellement, l’objectif est de « gagner en efficacité ». Officieusement, il s’agit de glisser les priorités politiques dans un processus censé rester scientifique. Le gouvernement assure qu’il ne dicte pas les décisions, seulement l’agenda. Mais qui fixe l’urgence, oriente le calendrier, choisit les combats, tient déjà la moitié du stylo. Et c’est là tout le problème.

Ce décret intervient à peine quarante-huit heures après l’adoption de la loi Duplomb. Un texte déjà explosif : réautorisation encadrée d’un néonicotinoïde, facilitation des mégabassines, tentative avortée d’imposer un conseil d’orientation pro-filières au sein de l’Anses… Face à la bronca, la commission mixte paritaire avait reculé. Mais le gouvernement revient à la charge par décret. Même objectif, autre voie. Dès sa parution, le groupe socialiste à l’Assemblée nationale a dénoncé une mise sous tutelle de l’agence, quelques jours à peine après avoir réussi à faire retirer en CMP les dispositions les plus contestables de la loi Duplomb. Même à droite, le malaise affleure : Julien Dive, rapporteur du texte, reconnaît que « ce décret n’aurait pas dû être pris ». Quand la majorité gouverne contre les alertes du Parlement, ce n’est plus un simple problème de méthode.

Face à la stratégie de court-circuitage engagée par l’exécutif, les députés et sénateurs socialistes sont en première ligne. Ils l’étaient déjà lors des débats parlementaires, obtenant le retrait d’articles qui menaçaient directement l’autonomie de l’Anses. Ils le sont encore aujourd’hui, en pointant le passage en force par voie réglementaire, et en refusant que le pouvoir piétine des accords laborieusement construits au Parlement. Leur constance dans la défense des contre-pouvoirs est essentielle.

Ce n’est pas un cas isolé. Ce gouvernement a pris l’habitude de réduire les marges de manœuvre des autorités indépendantes. L’Anses aujourd’hui, demain la CNIL, la Cour des comptes ou d’autres. Une même logique prévaut : faire taire les voix qui freinent. Et gouverner sans entraves, quitte à grignoter les digues de la République. C’est aussi une question de méthode. La loi dit non ? Qu’importe. On passe par le règlement. Le Parlement débat ? On légifère à l’ombre, en plein été. Une démocratie fatiguée, rapiécée, où le fond se joue souvent en dehors des enceintes prévues pour ça.

Dans les territoires, nous en voyons les conséquences. Ce sont nos collectivités qui doivent gérer les dégâts sanitaires, écologiques, sociaux. Ce sont nos services qui accompagnent les riverains, les agriculteurs, les enfants exposés. Et ce sont nos politiques locales qui sont bousculées quand l’État cède à la pression des lobbies au détriment du bien commun.

Cette méthode qui affaiblit les contre-pouvoirs et abîme la démocratie. L’indépendance de l’expertise publique n’est pas un luxe. C’est un socle. Quand l’exécutif écrit seul le calendrier, c’est déjà un peu de la décision qu’il a confisqué.

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