Il y a les discours. Et il y a les tableaux budgétaires. Deux jours après l’intervention de François Bayrou, le gouvernement a publié le rapport technique sur les plafonds de dépenses pour 2026. Et ce document confirme ce que les élus locaux redoutaient : une rigueur ciblée, assumée, qui frappe directement les budgets des territoires.
Le chiffre est déjà connu : 5,3 milliards d’euros d’effort demandé aux collectivités. Mais le document budgétaire en précise les modalités, mission par mission, coupe après coupe : cohésion des territoires, solidarité, culture… C’est un démontage en règle de la capacité d’action locale, soigneusement calibré.
Une équation faussement équilibrée
Le gouvernement parle de « modération » des dépenses publiques. Dans les faits, il s’agit d’un ralentissement imposé : le budget de l’État n’augmentera que de 29 milliards d’euros en 2026, alors qu’il aurait naturellement progressé de 60. Cette rigueur ne frappe pas au hasard :
–1,7 Md€ pour la solidarité,
–1,3 Md€ pour le travail et l’emploi,
–0,9 Md€ pour la cohésion des territoires,
–0,7 Md€ pour l’aide au développement,
–0,2 Md€ pour l’agriculture…
Même les missions dites « de lien » sont visées : –300 M€ pour le sport, –200 M€ pour la culture, autant pour l’Outre-mer, et –100 M€ pour les relations avec les collectivités. Seule la Défense (+6,7 Md€) et la dette (+8 Md€) voient leurs lignes renforcées. Le reste suit une logique de rabot.
Pour les territoires, une rigueur à sens unique
Le document l’affirme sans détour : « les collectivités contribueront à hauteur de 5,3 Md€ », principalement par la « maîtrise » de leurs recettes de fonctionnement. Traduction : leurs moyens progresseront moins vite que leurs besoins, et sans tenir compte des hausses de charges déjà engagées.
La Dotation Globale de Fonctionnement est maintenue à 27,4 Md€, mais le reste recule : 1,1 milliard d’euros de concours en moins, 200 millions de dotations d’investissement supprimés, un report en N+1 du versement du FCTVA, ce qui pèsera lourdement sur la trésorerie locale, et la reconduction du Dilico, cet outil de ponction automatique sur les recettes. Pour les régions, une part de TVA dynamique sera remplacée par une dotation figée : une recentralisation masquée, aux airs de retour à la tutelle.
S’y ajoute une minoration de 500 M€ de plusieurs dotations « variables d’ajustement », dont la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Le nouveau Dilico, cette « épargne forcée », est même doublé : 2 Md€ ponctionnés en 2026, frappant près de 2 000 collectivités, dont de très petites communes. Enfin, les organismes locaux satellites (CCAS, établissements scolaires, sociétés de transport…) devront eux aussi contribuer, à hauteur de 800 M€.
On appelle cela un « ajustement technique ». Les élus, eux, parleront de strangulation budgétaire.
Un document qui contredit les éléments de langage
En lisant le rapport, une chose saute aux yeux : la réalité est bien plus brutale que les annonces du 15 juillet.
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La baisse de l’investissement local n’est pas « une conséquence du cycle électoral » : elle est organisée par un étalement des versements.
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La reconduction du Dilico n’est pas un détail : c’est un outil d’écrêtement non ciblé, dénoncé depuis un an.
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L’évolution des recettes des collectivités est censée suivre l’inflation. Mais leurs dépenses, elles, explosent : salaires, énergie, besoins sociaux…
Ce document vient donc confirmer noir sur blanc ce que le gouvernement peinait à assumer à la tribune : la rigueur est sélective. Et les collectivités en sont les premières cibles.
Un État qui désinvestit… et désengage
En toile de fond, une philosophie se dessine : celle d’un pouvoir central qui garde la main sur les grands arbitrages (défense, dette, fiscalité), mais délègue aux élus de proximité la gestion des tensions sociales, environnementales et sanitaires sans les moyens pour y répondre.
Le PLF 2026 acte ainsi une recentralisation budgétaire qui ne dit pas son nom. Le remplacement de recettes dynamiques (TVA) par des dotations fixes, la baisse des investissements territoriaux, la limitation des compensations fiscales : tout converge vers une même stratégie. Réduire la capacité d’action locale, tout en prétendant faire confiance aux territoires.
À y regarder de près, ce rapport ne fait que confirmer ce que les élu·es locaux savaient déjà : la rigueur tombe sur eux, les marges restent à Paris. Il n’y a pas de neutralité dans un budget. Ce qui est financé, ce qui est amputé, ce qui est différé : tout cela est un choix. Et ce choix, les élu·es locaux·ales le subissent.
Pour juger sur pièces : le rapport complet du gouvernement sur les plafonds de dépenses du PLF 2026 est disponible ci-dessous.