Mardi 4 février 2025, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à durcir la lutte contre le narcotrafic. Issu des travaux de la commission d’enquête sénatoriale, présidée par Jérôme Durain, sénateur socialiste, ce texte construit sur un consensus transpartisan entend combler les failles qui permettent aux trafiquants de renforcer leur emprise bien au-delà des grandes villes.
Face à des réseaux criminels qui se professionnalisent et exploitent chaque faille du système, le Sénat propose une riposte juridique et opérationnelle d’ampleur. Frapper au portefeuille, briser les circuits de communication, démanteler les infrastructures logistiques et reprendre le contrôle des territoires gangrenés : autant de leviers que cette loi entend actionner pour inverser le rapport de force.
Désorganiser les réseaux, reprendre le contrôle
L’efficacité de la lutte contre le narcotrafic repose sur une action coordonnée et des outils adaptés aux nouvelles stratégies des trafiquants. Cette loi renforce la coopération entre services, modernise les enquêtes et resserre l’étau sur les flux financiers et logistiques des organisations criminelles.
Un service chef de file en matière de criminalité organisée
Le texte prévoit la désignation d’un service référent chargé d’assurer une coordination renforcée entre les administrations et d’améliorer le suivi des enquêtes complexes.
Un parquet national anticriminalité (Pnaco) pour les dossiers les plus sensibles
Afin d’unifier et d’accélérer le traitement des affaires liées au crime organisé, un parquet national anticriminalité sera créé. Il garantira une réponse judiciaire cohérente et efficace face aux réseaux de grande envergure.
Assécher les finances du narcotrafic
L’argent est le nerf de la guerre pour les trafiquants. Privés de leurs ressources, ils perdent leur capacité à corrompre, recruter et se réorganiser. Cette loi s’attaque directement aux circuits financiers qui alimentent le narcotrafic.
Des sanctions renforcées contre le blanchiment d’argent
Fermeture administrative des commerces de façade, souvent utilisés pour dissimuler des flux criminels.
Interdiction des « mixeurs » de cryptoactifs, qui rendent intraçable l’origine des transactions illicites.
Gel facilité des avoirs criminels, pour empêcher la réinjection de fonds illégaux dans l’économie.
Encadrement strict des paiements en espèces
Les trafiquants exploitent les failles du système bancaire en misant sur l’argent liquide. Désormais, les paiements en espèces pour la location de véhicules seront interdits au-delà d’un seuil fixé par décret, limitant ainsi l’opacité des transactions.
Moderniser les méthodes d’enquête
À mesure que les trafiquants adoptent des technologies sophistiquées pour échapper aux forces de l’ordre, l’arsenal juridique doit s’adapter. Ce texte introduit des outils inédits pour suivre et anticiper leurs stratégies.
Un accès sous contrôle judiciaire aux messageries cryptées
Les plateformes de messagerie cryptée sont devenues un outil central pour l’organisation des réseaux criminels. La loi impose aux opérateurs de permettre aux services de renseignement d’accéder, sous autorisation judiciaire, aux échanges chiffrés.
Le renseignement algorithmique pour traquer les réseaux criminels
Les services spécialisés pourront recourir à des outils d’intelligence artificielle et d’analyse de données pour détecter les comportements suspects liés aux trafics de drogue, en complément des méthodes d’enquête classiques.
Enrayer le recrutement et durcir les sanctions
Pour affaiblir durablement les réseaux criminels, la loi s’attaque également à leur capacité de renouvellement. De la structuration des organisations aux méthodes de recrutement, chaque maillon de la chaîne est visé.
Création d’une infraction d’appartenance à une organisation criminelle
Désormais, l’appartenance à un réseau de narcotrafic constituera une infraction en soi, permettant des poursuites plus rapides et plus efficaces contre les membres de ces organisations.
Sanctions contre le recrutement sur les réseaux sociaux
Les trafiquants exploitent les réseaux sociaux pour recruter des « petites mains » et des « guetteurs », souvent des mineurs attirés par des promesses d’argent facile. Annonces codées, contacts anonymes, recrutement express : ces pratiques permettent aux réseaux criminels d’exploiter une main-d’œuvre vulnérable tout en limitant les risques pour eux-mêmes.
La loi criminalise désormais spécifiquement la publication d’annonces de recrutement liées au trafic de stupéfiants sur des plateformes numériques. Les trafiquants encourront jusqu’à sept ans de prison et 150 000 euros d’amende s’ils utilisent ces outils pour recruter.
L’objectif est clair : cibler directement ceux qui organisent ces recrutements en ligne, couper leur accès aux jeunes et réduire leur capacité d’implantation dans de nouveaux territoires.
Sécuriser les prisons et couper les trafics en détention
Les prisons restent un maillon clé du narcotrafic, où les réseaux continuent de se structurer et d’opérer en dépit des condamnations. Pour y mettre un coup d’arrêt, la loi renforce la surveillance, durcit les contrôles et modernise les dispositifs de sécurité en détention.
Utilisation de drones pour surveiller les établissements pénitentiaires
Le trafic de stupéfiants ne s’arrête pas aux portes des prisons. La loi autorise désormais l’usage de drones pour empêcher l’introduction d’objets prohibés en détention.
Renforcement des convois pénitentiaires et des comparutions à distance
Pour réduire les risques d’évasion et limiter les déplacements des détenus à haut risque, le texte facilite le recours aux comparutions par visioconférence.
Une unanimité au Sénat, mais des débats encore ouverts
L’unanimité sénatoriale témoigne de la gravité du problème et de la nécessité d’une action concertée. Mais certaines dispositions continuent de susciter des interrogations.
Le « dossier coffre », qui permettrait de soustraire certains éléments d’enquête au contradictoire dans des affaires sensibles, a notamment été critiqué par des membres du groupe socialiste. Marie-Pierre de La Gontrie a alerté sur le risque d’atteinte aux droits de la défense, soulignant que « ce qui est contenu dans ce procès-verbal distinct ne serait pas accessible aux parties, ce qui n’est pas acceptable ».
Si cette mesure reste à arbitrer, le travail sénatorial a permis de structurer une réponse juridique robuste et cohérente, qui devra maintenant être affinée à l’Assemblée nationale.