CNRACL : LE COMPTE À REBOURS A COMMENCÉ

Hausse brutale des cotisations, dette galopante, agents territoriaux usés par leurs fonctions : le régime de retraite des collectivités locales vacille. Un rapport parlementaire appelle à des décisions fortes pendant que le gouvernement se contente de faire payer.

Il y a des moments où la technicité d’un sujet ne suffit plus à masquer l’urgence. Celui-ci en est un. Présenté le 13 mai par le député socialiste Stéphane Delautrette, un rapport d’information alerte sur la situation de la CNRACL et sur les décisions politiques qui, depuis des mois, font peser l’essentiel du fardeau sur les élus employeurs.

Les constats sont partagés par tous : représentants des inspections générales, syndicats, employeurs. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le déficit cumulé pourrait atteindre 18 milliards d’euros d’ici 2030. En parallèle, les collectivités ont vu leurs cotisations retraite bondir à 34,65 % cette année, avec trois hausses supplémentaires d’ores et déjà programmées. À l’horizon 2028, ce sont plus de 4 milliards d’euros annuels qui manqueront aux budgets de fonctionnement et d’investissement, pour un effet… dérisoire. Car la mesure, imposée dans la loi de financement de la Sécurité sociale, ne stabilise ni la trajectoire de la dette ni le ratio démographique du régime. Autrement dit : le prix monte, mais le problème reste entier.

Le rapport propose un chiffrage inédit des alternatives. En mettant fin à certaines aberrations structurelles comme les 618 millions d’euros versés en 2023 à d’autres régimes de retraite dans le cadre du mécanisme dit de « compensation démographique », la CNRACL pourrait réaliser plusieurs centaines de millions d’euros d’économies.

De même, la suppression du seuil d’affiliation de 28 heures hebdomadaires permettrait de faire cotiser à la CNRACL près de 75 000 agents publics territoriaux aujourd’hui affiliés à l’Ircantec. L’objectif est clair : élargir l’assiette plutôt que matraquer les employeurs.

D’autres leviers sont également évoqués dans le rapport : que la CNAF finance les majorations familiales, comme elle le fait pour le régime général, ou que le Fonds de solidarité vieillesse prenne à sa charge le minimum de pension invalidité. En tout, les propositions permettraient de dégager environ 1,6 milliard d’euros par an. De quoi annuler, si elles étaient mises en œuvre rapidement, la hausse de 3 points prévue en 2026, selon les députés.

Les auditions menées par la Délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale ont été sans ambiguïté. Qu’il s’agisse des représentants des trois inspections générales de l’État, finances, affaires sociales, administration ou des employeurs territoriaux, tous ont souligné l’inefficacité du traitement imposé. L’augmentation des taux ne suffit pas à enrayer la dégradation. Elle pourrait même accélérer l’effondrement en incitant les collectivités à recruter davantage de contractuels, qui cotisent ailleurs.

Enfin, le rapport appelle à une réforme de fond du financement, avec l’affectation pérenne de recettes fiscales au régime, sur le modèle de la CNAV. Une solution qui permettrait de sortir d’une logique d’étouffement progressif et d’en finir avec les hausses de cotisations programmées jusqu’en 2028.

Le rapport de Stéphane Delautrette pose des mots clairs là où le gouvernement cultive le flou. Il propose de mettre fin à des absurdités structurelles comme ce seuil de 28 heures qui exclut une part non négligeable d’agents titulaires de l’affiliation à la CNRACL. Il plaide aussi pour que la Caisse puisse, enfin, bénéficier d’un socle de fiscalité transférée, à l’image de ce qui existe dans d’autres régimes. La reprise de la dette par la CADES, déjà mise en œuvre partiellement en 2020 (1,29 milliard d’euros pour les exercices 2018-2019), y est défendue comme une nécessité, non pas pour éviter les réformes, mais pour leur donner le temps d’être construites.

Ce que ce rapport dit en creux, et que la plupart des élus savent déjà, c’est que l’État se défausse. Il se désengage d’un système qu’il avait lui-même bâti, en prétendant que les employeurs publics territoriaux doivent seuls en porter le redressement. Ce n’est pas une politique, c’est une démission.

Au-delà des chiffres, ce sont les principes mêmes du service public local qui sont fragilisés. À force de considérer les collectivités comme des variables d’ajustement, on prend le risque d’épuiser celles et ceux qui tiennent encore la barre. La CNRACL n’est pas un détail comptable : c’est le filet de sécurité de millions d’agents qui font vivre nos écoles, nos routes, nos bibliothèques, nos crèches et nos centres de secours. C’est aussi, pour les employeurs, un outil de fidélisation, de reconnaissance, et de justice sociale.

Il ne s’agit pas ici de repousser indéfiniment les réformes. Il s’agit de les faire à la bonne échelle, avec une vision d’ensemble et un partage équitable de l’effort. Ce que propose ce rapport, c’est une autre voie : plus réaliste, plus solidaire, et surtout plus respectueuse de ce que les élus locaux portent au quotidien.

Le rapport parlementaire complet, présenté par Stéphane Delautrette, est accessible ici :

Rapport CNRACL Stéphane DELAUTRETTE

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