La Cour des comptes dit tout haut ce que les communes constatent depuis longtemps : l’école primaire française va mal. Rythmes, inégalités, pilotage centralisé… Ce que le rapport dévoile, les élus locaux le vivent déjà, sans toujours avoir voix au chapitre.
Alors que le président de la République promet une convention citoyenne sur « les temps de l’enfant », la Cour des comptes, elle, livre un verdict autrement plus tranché. Dans un rapport publié le 20 mai, l’institution dénonce un système éducatif primaire « en échec », miné par une organisation rigide, des performances scolaires en recul et une gouvernance incapable de répondre aux défis sociaux et territoriaux. Pour les élus locaux, qui depuis des années alertent sur l’absurdité d’un pilotage vertical, cette parole officielle sonne comme une confirmation tardive.
Au cœur du rapport : un constat implacable. La France est aujourd’hui la dernière de l’Union européenne en mathématiques en CM1, avant-dernière en français. En 2023, seuls 2,5 % des élèves français étaient considérés comme « avancés » en mathématiques, contre 11,5 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Et malgré une dépense publique de 55,1 milliards d’euros en 2023, les résultats stagnent, voire régressent. Plus inquiétant encore : les inégalités sociales s’aggravent, les enfants issus de milieux modestes se retrouvant massivement parmi les élèves en grande difficulté. Quarante pour cent des élèves les plus faibles en 6e appartiennent aux 20 % les plus défavorisés.
À cela s’ajoute une organisation du temps scolaire à contre-temps. Revenu en force depuis 2017, le rythme de quatre jours, adopté aujourd’hui par l’écrasante majorité des communes, est pointé comme nuisible à la vigilance et à l’apprentissage, les journées devenant trop denses en début de semaine. Cette organisation, propre à la France, va à rebours des recommandations en chronobiologie et des pratiques européennes, où la semaine de cinq jours reste la norme.
Mais il ne s’agit pas ici de blâmer les choix locaux. Dans bien des communes, ces décisions ont été prises en tenant compte de la fatigue des enfants, du manque de moyens pour encadrer des temps périscolaires de qualité, ou encore de réalités sociales. Ce que dénonce la Cour et avec elle, de nombreux élus, c’est l’absence d’évaluation, d’orientation nationale stable, de partenariat structuré avec les collectivités. Le cadre a été cassé, chacun a fait au mieux.
Cela fait longtemps que les élus socialistes du Finistère défendent une autre approche : celle d’un projet éducatif global, construit à l’échelle des territoires, en lien avec les enseignants, les familles, les associations. C’est le sens du plaidoyer d’Émilie Kuchel, adjointe au maire de Brest et présidente du Réseau Français des Villes Éducatrices, récemment publié dans Futuribles. Une ville est éducatrice, dit-elle, quand elle ne se contente pas de gérer, mais construit un projet d’émancipation pour sa jeunesse. Cela passe par les rythmes, les cours d’école, les temps méridiens, l’accès aux activités et aux soins.
Dans le prolongement de cette prise de position, le RFVE, aux côtés de l’ANDEV, a également publié une déclaration commune en réponse à l’annonce présidentielle de convention citoyenne. Leur position est limpide : oui au débat, mais pas sans les collectivités. Pas après avoir supprimé, sans préavis, le fonds de soutien aux activités périscolaires dans le budget 2025. Pas sans parler aussi de ce que vivent les familles et les équipes : effectifs trop lourds, problèmes de santé scolaire, accueil des enfants en situation de handicap, logique budgétaire d’austérité masquée derrière des slogans creux.
Dans son rapport, la Cour revient aussi sur le rôle des directeurs d’école. Leur flou statutaire freine tout pilotage éducatif cohérent. L’institution recommande de créer un statut clair ou, à défaut, de généraliser les décharges, en tenant compte des réalités locales.
La question de l’attractivité du métier d’enseignant est également soulevée : difficultés de recrutement, formation insuffisante, peu de mobilité… Autant de facteurs qui nuisent à la stabilité des équipes éducatives.
Pour améliorer la gouvernance, la Cour propose de mieux associer les collectivités à travers des conventions triennales avec l’Éducation nationale. Un protocole a d’ailleurs été signé début mai avec l’AMF, mais reste à concrétiser à l’échelle locale.
Elle appelle également à restructurer le maillage scolaire dans les territoires concernés par la baisse démographique, en valorisant les regroupements intercommunaux.
À l’horizon 2028, 350 000 élèves en moins sont attendus dans le primaire. Pour la Cour, cette baisse offre une opportunité de transformation. Encore faut-il que les moyens soient réorientés vers ce qui compte : le bien-être, la réussite, la continuité éducative.
Tout est là. Reste à choisir entre un énième dispositif de communication présidentielle, ou une refonte du contrat éducatif entre l’État, les territoires, et les enfants. En la matière, les communes n’ont pas de leçon à recevoir : elles ont des propositions à faire.
À condition qu’on les écoute. Vraiment.
Retrouvez ci-dessous le rapport complet de la Cour des comptes intitulé « L’enseignement primaire », publié le 20 mai 2025.