Le 6 juin 2025, le Conseil d’État a rendu une décision qui passe largement sous les radars, mais qui mérite pourtant l’attention des élus locaux. Elle concerne l’interprétation de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil des gens du voyage, un texte souvent mobilisé sur le terrain, dans des contextes parfois tendus.
Cette décision vient clarifier un point juridique qui, jusqu’à présent, restait flou : qui doit prouver quoi lorsqu’une commune ou un EPCI demande l’évacuation d’un terrain occupé sans autorisation ?
Le cadre général : une obligation d’accueil, une procédure d’évacuation encadrée
Depuis la loi de 2000, les communes et intercommunalités à fiscalité propre sont tenues de prévoir des aires d’accueil pour les gens du voyage. Ce terme désigne, dans le cadre légal, des personnes vivant en résidence mobile et ayant choisi un mode de vie itinérant.
Lorsque ces obligations sont respectées, la collectivité peut, en cas d’installation illégale, demander au préfet de mettre en œuvre la procédure administrative d’évacuation prévue par la loi. Ce mécanisme permet une intervention plus rapide que la voie judiciaire, à condition que les critères soient réunis.
Mais jusqu’à récemment, une question restait problématique : comment prouver que les personnes concernées relèvent bien de ce régime juridique ? Et à qui revient cette preuve ?
Ce que dit le Conseil d’État (6 juin 2025, n°486577)
Dans cet arrêt, le Conseil d’État précise les critères qui permettent d’appliquer la procédure d’évacuation prévue par la loi du 5 juillet 2000 :
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L’origine des personnes ne doit pas être prise en compte. Ce n’est pas parce que quelqu’un appartient à une communauté (rom, etc.) qu’il est ou n’est pas considéré comme « gens du voyage » au sens de la loi.
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L’habitat doit être constitué de résidences mobiles : des véhicules terrestres habitables, autorisés à circuler.
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Le mode de vie doit être itinérant, c’est-à-dire que les intéressés n’ont pas exprimé la volonté de se sédentariser durablement.
La nouveauté majeure introduite par cette décision, c’est que :
Ce sont désormais les personnes concernées qui doivent prouver qu’elles sont sédentaires, si elles veulent s’opposer à une procédure d’évacuation.
Autrement dit : la charge de la preuve bascule. Avant, les collectivités devaient parfois démontrer que les personnes installées relevaient bien du dispositif. Désormais, le doute ne joue plus contre elles : ce sont les occupants qui doivent justifier d’un établissement durable (activité professionnelle locale, scolarisation des enfants, ancrage territorial…).
Ce que cela change pour les maires et présidents d’intercommunalité
Cette clarification est plutôt une bonne nouvelle pour les collectivités en règle, car elle :
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renforce la sécurité juridique des procédures d’évacuation administratives ;
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limite les contentieux liés à des interprétations floues du statut des occupants ;
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évite aux maires de devoir démontrer eux-mêmes le mode de vie des personnes concernées.
Elle s’applique notamment dans les cas fréquents où des familles s’installent sur des terrains non autorisés (parking, terrain communal, friche…) alors que des aires d’accueil sont disponibles sur le territoire. Dans ces cas, si la commune est en règle, elle peut saisir le préfet pour demander l’évacuation. Le Conseil d’État précise que ce sont alors aux occupants de démontrer qu’ils ne relèvent pas du régime applicable.
Et si la commune n’a pas d’aire d’accueil conforme ?
Cette clarification du Conseil d’État ne s’applique que dans le cadre de la procédure administrative prévue par la loi du 5 juillet 2000, c’est-à-dire lorsque la commune ou l’EPCI a respecté ses obligations d’accueil.
En l’absence d’aire conforme, la collectivité ne peut pas bénéficier de cette procédure simplifiée : elle doit saisir le juge judiciaire, via une procédure classique d’expulsion, qui relève du code civil.
Dans ce cas, l’arrêt du Conseil d’État du 6 juin 2025 n’a aucun effet. Les règles restent inchangées : la décision revient au tribunal, après constat par huissier, et les délais peuvent être longs.
C’est donc aussi un rappel utile : seules les collectivités en conformité avec la loi disposent de tous les leviers juridiques pour agir rapidement en cas d’occupation illégale.
À retenir
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Si la commune est en règle (aire conforme), elle peut demander une évacuation via le préfet.
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Ce sont les occupants qui doivent prouver qu’ils sont sédentaires s’ils veulent contester.
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L’origine des personnes ne compte pas : seuls le type d’habitat et le mode de vie itinérant sont pris en compte.
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Si la commune n’a pas respecté ses obligations, rien ne change : il faut passer par le juge civil, et le Conseil d’État n’y est pour rien.
Dans les situations d’occupation illégale, disposer d’un cadre clair n’est jamais superflu. Cette décision vient le rappeler.