Il ne date pas de cette année, mais le blues des maires est en train de prendre des proportions inquiétantes comme le montre le sénateur socialiste des Landes, Éric Kerrouche, dans un essai sur cette question à la Fondation Jean-Jaurès.
Cap Finistère : Comment interpréter le refus d’Emmanuel Macron d’intervenir devant le Congrès des maires ?
Éric Kerrouche : Je pense que c’est une erreur politique. Ça s’inscrit dans cette tendance où on a l’impression d’une mise à l’écart des territoires et là, en l’espèce, qu’il y aurait les bons et les mauvais maires. Les bons étant invités à l’Élysée et les autres devant rester au congrès, porte de Versailles. C’est donc une erreur politique et en plus il y a toujours cette impression d’arrogance et de condescendance qui le caractérise bien.
Cap Finistère : Quels sont les éléments qui contribuent au blues des maires ?
Éric Kerrouche : Ils sont multiples. Les premiers sont liés à la fonction même de maire. La pression est extrêmement forte et cela empiète sur leur vie professionnelle et personnelle classique. Dans les petites communes, ils sont l’unique interlocuteur 24 heures sur 24, lorsqu’une canalisation éclate qu’un accident se produit ou qu’il faut décider d’une hospitalisation d’urgence. Il est ressorti, des entretiens que nous avons menés, que la responsabilité pénale effraie aussi les élus.
À cela, il faut ajouter les demandes des habitants de plus en plus exigeants qui ont trop souvent une vision uniquement consumériste.
Les élus de 2014 savaient plus ou moins à quoi ils s’engageaient en se présentant. Mais à côté de ces causes endogènes, il faut ajouter des raisons plus conjoncturelles. Depuis dix ans, le système local est en ébullition notamment avec les lois de 2010 et de 2015 qui changent les compétences et les périmètres. Il s’en est suivi des dizaines de réunions et, dans certaines communes, un sentiment de dépossession au profit des EPCI.
Plus récemment certaines décisions de ce gouvernement ont constitué des gouttes qui ont fait déborder le vase. Je pense, bien sûr, à la suppression de la taxe d’habitation sans proposition de remplacement pour l’instant. Il faut savoir qu’on en est, pour l’instant, au septième scénario et que rien n’est encore décidé. Or, la TH était l’une des principales ressources des communes. Pire, alors que cette suppression était présentée comme une mesure de justice sociale, puisqu’elle ne devait concerner que 80 % des contribuables, on apprend que 100 % des ménages vont être concernés. Cela signifie donc que les plus riches seront à nouveau servis.
La fin des emplois aidés, enfin, a été une catastrophe pour les élus. On est passé de 426 000 en 2015 à 100 000 en 2019. Or, non seulement ces emplois aidés ont une vraie utilité sociale, en particulier pour les jeunes, mais en plus, de nombreux services ne peuvent plus être rendus. Et enfin, ces suppressions ont totalement désorganisé le secteur associatif pourtant si important pour la vitalité des communes.
Cap Finistère : Que proposez-vous pour faciliter l’exercice des mandats locaux ?
Éric Kerrouche : Je crois qu’il est urgent de mettre en place un statut de l’élu.e. Il ne faut pas que les citoyens pensent qu’on va donner des droits spécifiques à des élus qui sont éloignés de leurs préoccupations. Au contraire. Ce statut doit permettre au plus grand nombre de citoyens, quel que soit leur statut social ou professionnel, d’entrer dans les assemblées. Car, ce statut doit aller de pair avec une limitation du nombre de mandats dans le temps. Ainsi, le mandat d’élu constituera une expérience professionnelle qui pourra être valorisée.
Ensuite, je crois qu’il faut démocratiser les EPCI, en donnant plus de poids aux petites communes et surtout en établissant plus de liens avec les communes. En tant que président de communauté de communes, je ne pouvais jamais être sanctionné. Il est temps d’élire les présidents d’EPCI au suffrage universel pour obliger à présenter un programme intercommunal. Enfin, il me semble qu’il faut favoriser les fusions de communes, mais en incitant plutôt qu’en contraignant.
Cap Finistère : Faut-il craindre une crise de vocations en 2020 ?
Éric Kerrouche : On peut dire qu’il y a une augmentation du nombre de démissions de maires mais elle n’est pas écrasante. En revanche, et c’est inquiétant, on constate aussi une augmentation du nombre de démissions d’adjoints, de conseillers municipaux ou communautaires. Or, c’est dans ce « vivier » qu’on trouve les futurs maires. On estime à 50 % le pourcentage de maires qui ne comptent pas se représenter. Mais pour les communes de moins de 500 habitants, ce pourcentage monte même à 60 %. Habituellement, le taux de renouvellement est de 40 %. Donc oui, pour la première fois en 2020 on peut se retrouver avec des listes incomplètes, voire une absence de candidats.
Article publié dans Cap Finistère n°1249 du 30 novembre 2018