Jeudi 30 mars en déplacement à Savines-Le-Lac, Emmanuel Macron a dévoilé les grands axes du plan «Eau». Un plan très attendu, de 53 mesures, destiné à améliorer la gestion de l’eau, ressource menacée par le réchauffement climatique et la sécheresse.
Parmi elles, la réduction de 10% des prélèvements d’eau d’ici 2030 par rapport à 2019 dans tous les secteurs, rappelons que les Assises de l’eau de 2019 fixaient déjà un objectif de réduction de 10%, mais d’ici 2025, et de 25% en 15 ans, mais aussi celui de passer de 1% à 10% d’eau usée réutilisée, via le déploiement de 1.000 projets en lien avec les collectivités.
D’ailleurs, certaines mesures devraient satisfaire ces dernières, comme l’annonce de nouveaux moyens pour rénover les réseaux ou mettre aux normes les stations d’épuration prioritaires. Le président a appelé également à généraliser la tarification progressive de l’eau.
Lors de la présentation de ce plan, le chef de l’état a prôné la politique de l’eau « innovante » conduite en France depuis 1960, il a néanmoins relevé qu’il s’agissait alors de « se battre contre la pollution et pour la qualité », alors que le défi aujourd’hui est celui « de la quantité ». Ce plan vise à la fois le court terme, avec un été qui s’annonce probablement difficile, d’ailleurs, le président de la République a prévenu que « toutes les crises ne seront pas évitées dès cet été », mais il vise aussi le long terme.
Le plan «Eau»
Ce plan composé de 53 mesures, n’est pas sans rappeler le plan « Sobriété énergétique », dont il reprend certains dispositifs. Ici encore, l’État devra se montrer exemplaire : une démarche de sobriété et de lutte contre le gaspillage sera engagée dès 2023 « au sein des administrations publiques ». Le président a évoqué l’utilisation de kits hydro-économes et de récupérateurs d’eau.
Toutes les filières économiques devront établir dès cette année un plan de sobriété, avec une attention particulière pour les 50 sites industriels ayant le plus fort potentiel de réduction. Emmanuel Macron a également visé particulièrement le secteur de la production d’électricité, qui représente « 51% des prélèvements et 12% de la consommation de la ressource ». Il a indiqué qu’un plan d’investissement sera notamment lancé pour faire fonctionner davantage les centrales nucléaires en circuit fermé.
Une agriculture à adapter
Le cas de l’agriculture a été longuement évoqué par le président qui a alerté sur la nécessité « d’adapter nos modes de culture », « de réinventer les schémas de culture et de production », mais aussi de « faire plus d’irrigation avec la même quantité d’eau ». « Toutes les nouvelles installations agricoles seront adaptées au climat de demain », a-t-il annoncé, précisant que le « diagnostic eau, sols et adaptation sera intégré aux aides à l’installation ».
30 millions d’euros supplémentaires par an seront consacrés au soutien des pratiques agricoles économes en eau à compter de 2024.
100 millions d’euros supplémentaires par an seront aussi mobilisés pour financer les pratiques vertueuses des agriculteurs à l’égard de la qualité de l’eau.
Concernant le sujet épineux du stockage de l’eau, Emmanuel Macron a souligné que la priorité était de « maximiser la capacité de notre principal outil de stockage, que sont nos sols » ; puis « d’utiliser les ouvrages existants et d’améliorer l’infiltration dans les nappes », annonçant un « fonds hydraulique agricole » en ce sens ; enfin, concernant « les nouveaux ouvrages parfois nécessaires », il a mis en avant la nécessité non pas de « s’accaparer l’eau », mais de la partager. « Les nouvelles retenues devront être inscrites dans des projets de territoires concertés, notamment avec les collectivités territoriales, qui peuvent jouer un plus grand rôle pour piloter certains projets, avoir plusieurs usages et être conditionnées à des changements de pratique » a précisé le chef de l’état.
Des objectifs chiffrés pour les Sage et les PTGE
Le plan prévoit également que chaque grand bassin versant sera doté « dès 2027 » d’un plan d’adaptation au changement climatique, précisant la trajectoire de réduction des prélèvements. Des objectifs chiffrés des prélèvements seront définis dans les documents de gestion de l’eau à l’échelle des 1.100 bassins du pays, schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) et projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). Au fur et à mesure de leur renouvellement, il sera mis fin aux autorisations de prélèvement au-delà de ce qui est soutenable dans les bassins versants dits en déséquilibre.
Réseaux fuyards et compteurs
Pour lutter contre les réseaux fuyards, le plan prévoit 180 millions d’euros par an d’aides supplémentaires. Des agences de l’eau seront dédiées au petit cycle de l’eau et conditionnées à une amélioration durable de la gestion du patrimoine. Les 170 collectivités ayant des taux de fuite supérieurs à 50% et les 2.000 communes ayant connu des tensions sur l’eau potable en 2022 seront prioritaires. Pour se faire, les aides des agences de l’eau seront soumises à des objectifs de performance de gestion du patrimoine.
Le président a indiqué vouloir travailler « avec les collectivités pour généraliser en dix ans les compteurs intelligents, en commençant par les plus grands usagers de l’eau ». En 2024, 10 territoires feront l’objet d’une expérimentation par l’installation de compteurs avec télétransmission des volumes prélevés obligatoire pour tous les prélèvements importants (dépassant le seuil d’autorisation environnementale), pour une généralisation d’ici 2027. Le seuil de déclaration des forages domestiques sera aussi abaissé, et la procédure de déclaration simplifiée.
« Ecowatt de l’eau »
L’eau étant l’affaire de tous, une application présentée par le président comme un « Ecowatt de l’eau » sera déployée d’ici cet été. Elle permettra à chacun de connaître les restrictions s’appliquant selon sa catégorie d’usager dans le territoire où il se trouve (géolocalisation) et rappelant les éco-gestes recommandés au regard de la situation locale. Le plan prévoit également une campagne de communication destinée au grand public, une sensibilisation renforcée en milieu scolaire ou encore l’accompagnement des particuliers à l’installation de kits hydro-économes et de récupérateurs d’eau de pluie.
10% d’eau usée réutilisée d’ici 2030
« En France, moins de 1% de l’eau usée est retraitée pour être utilisée une seconde fois. C’est 10, 15, 20 fois moins que les meilleurs dans le monde », a déploré le président de la République. Emmanuel Macron souhaite atteindre 10% d’eau usée retraitée d’ici 2030, soit l’équivalent de « trois piscines olympiques par commune » par an. Pour se faire, il est prévu le développement de 1.000 projets de réutilisation des eaux non conventionnelles (REUT, eaux de pluie, eaux grises…) d’ici 2027. Emmanuel Macron entend » faciliter et accélérer les procédures administratives et lever quelques verrous » pour aider à ce développement. Le plan précise que ces freins réglementaires seront levés dès 2023 dans certains secteurs industriels (dont l’agro-alimentaire) et pour certains usages domestiques. Les préfets deviendront le guichet unique pour l’accompagnement des porteurs de projet, ceux innovants rencontrant des blocages réglementaires pouvant également bénéficier d’un accompagnement de France Expérimentation. Un observatoire sur cette réutilisation sera mis en place.
Un appel à manifestation d’intérêt dédié aux collectivités littorales sera en outre lancé par l’État, en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel) et le Cerema, pour étudier la faisabilité de projets de REUT. La récupération des eaux de pluie de toiture des bâtiments agricoles sera soutenue.
Qualité et renaturation
D’ici juillet 2027, tous les captages seront équipés d’un « plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux ». 50 millions d’euros supplémentaires par an d’aides des agences de l’eau seront consacrés à la mise aux normes des stations d’épuration prioritaires.
70 projets d’opérations (10 par grand bassin hydrographique) « Solutions fondées sur la nature » seront lancés dès 2023 comme démonstrateurs pour la restauration des zones humides, la renaturation ou encore la restauration des cours d’eau. Il est précisé que 100 millions d’euros du fonds vert seront dédiés à des projets de renaturation et de désimperméabilisation des collectivités.
Gouvernance
« Dans notre pays, l’eau est une compétence largement décentralisée. C’est un choix que je considère comme judicieux, au plus près des territoires. Les élus sont en première ligne et l’esprit du plan est de conforter leur rôle », a assuré le président. « Notre vrai problème, sur beaucoup de cas, ce sont les communes isolées », a-t-il déclaré. « Il nous faut sur ce sujet mettre beaucoup de souplesse et d’apaisement. Parfois, le modèle de l’intercommunalité est le bon, d’autres fois il faut mutualiser différemment. Je souhaite qu’on puisse consolider partout où c’est accepté le modèle de l’intercommunalité et ensuite qu’on puisse trouver les bonnes solutions de mutualisation : nouveaux syndicats possibles, intercommunalité choisie, mais en tout cas accélération de l’investissement. »
Le plan prévoit également que chaque sous-bassin versant sera doté d’ici 2027 d’une instance de dialogue et d’un projet politique de territoire organisant le partage de la ressource. Le fonctionnement des commissions locales de l’eau sera « simplifié » et les Sage seront encouragés à définir des priorités d’usage ainsi que la répartition de volumes globaux de prélèvement par usage. Le Comité national de l’eau intégrera de nouveaux représentants des usagers de l’eau « et de la jeunesse ». Les conditions « d’une intervention efficace » des conseils départementaux en matière d’assistance technique et financière seront « facilitées ».
Moyens
« L’économie de l’eau, c’est environ 20 milliards d’euros par an. Elle est déclenchée par environ 2,2 milliards d’euros d’argent public correspondant au budget des agences de l’eau » a indiqué le président. Aussi, pour « déclencher environ 6 milliards de plus dans l’économie de l’eau chaque année » avec le « même coefficient multiplicateur », Emmanuel Macron a indiqué que le budget des agences de l’eau serait augmenté chaque année de 500 millions d’euros (le dossier de presse évoque 475 millions d’euros, comprenant les 180 millions pour les réseaux fuyards et les 50 millions pour les stations d’épuration évoqués précédemment). Le plafond de dépenses des agences sera supprimé « dès le prochain programme d’intervention », soit 2025… mais pas le plafond mordant sur les recettes.
Le président a également indiqué que la Banque des Territoires et la Caisse des Dépôts seront mobilisées « pour lancer un grand plan sur nos infrastructures », afin de répondre « au sous-investissement historique ». Les collectivités pourront notamment compter sur la mise en place par la Banque des Territoires d’une nouvelle génération d’Aquaprêts à taux bonifié. Elles pourront inscrire les projets de protection et de restauration du patrimoine naturel dans leurs programmes pluriannuels d’investissement et dans les travaux éligibles aux dotations de l’État, sans plafond.
Prix
Le président souhaite généraliser une « tarification progressive et responsabilisante en concertation avec élus », il a indiqué que les premiers mètres cubes seront facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant mais qu’au-delà d’un certain niveau, le prix serait plus élevé. Pour l’heure, le plan prévoit seulement de « faciliter » la mise en place par les collectivités d’une « politique tarifaire adaptée aux enjeux des territoires » et la saisine du Conseil économique, social et environnemental « d’une mission sur les évolutions nécessaires pour faire des recommandations sur la tarification progressive de l’eau ».