Le 26 octobre, Élisabeth Borne a réuni les maires des villes les plus touchées par les violences urbaines de l’été dernier s pour présenter un ensemble de mesures gouvernementales visant à prévenir leur récurrence. Ces mesures incluent un élargissement du rôle des forces de police municipales, l’instauration de sanctions plus sévères pour les jeunes délinquants, et le renforcement de la responsabilisation des parents au travers de nouvelles obligations. En parallèle, une initiative pluridisciplinaire baptisée « Force d’action républicaine » interviendra temporairement dans certaines zones pour une prise en charge intensive des problèmes. (Pour accéder au discours complet d’Élisabeth Borne, veuillez suivre ce lien).
Il est à noter que la moitié des quartiers relevant de la politique de la ville (QPV) n’ont pas été touchés par les violences, et un tiers des incidents ont eu lieu en dehors des QPV. Jusqu’à présent, la réponse du gouvernement aux émeutes s’est principalement concentrée sur la reconstruction et la réparation des dégâts. À ce jour, environ 60 % des bâtiments endommagés ont été rénovés. Pour renforcer ces efforts, Élisabeth Borne a annoncé une enveloppe de 100 millions d’euros destinée aux communes qui ont supporté une part significative des coûts, en complément des indemnisations des assurances.
Le rôle accru des polices municipales a été au centre des préoccupations gouvernementales, notamment en ce qui concerne le rôle crucial de ces forces. La Première ministre a annoncé une nouvelle étape dans le continuum de sécurité, permettant aux polices municipales, sur demande des maires, d’exercer certaines compétences judiciaires. Les pouvoirs seront exercés sous la supervision des procureurs, et une consultation avec les associations d’élus sera lancée pour élaborer un projet de loi à ce sujet. Il convient de noter que seules certaines fonctions seront concernées, telles que la consultation de fichiers, mais pas les perquisitions. Une disposition similaire avait été envisagée en 2021 dans le cadre de la loi sur la sécurité globale, mais elle avait été rejetée par le Conseil constitutionnel.
Sur le plan judiciaire et social, le gouvernement a pris en compte les profils des émeutiers, souvent des mineurs sans antécédents judiciaires et en situation de vulnérabilité sociale. Les mesures annoncées s’articulent autour de trois axes : diversification des sanctions, responsabilisation pénale et civile des parents, et garantie de réparation et d’indemnisation pour les dommages subis.
Élisabeth Borne a souligné la nécessité d’élargir l’éventail des sanctions, afin que chaque infraction fasse l’objet de poursuites, même dès la première infraction. Trois mesures ont été annoncées à cet égard :
- Augmentation de l’amende pour le non-respect d’un couvre-feu par un mineur, la portant à 750 euros au lieu de 150 euros.
- Obligation pour un jeune délinquant de respecter un placement en unité éducative de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), avec participation aux activités de formation et d’insertion de l’unité. En cas de non-respect, un placement en centre éducatif fermé (CEF) ou en détention pourra être envisagé. Dans certains cas, l’encadrement de jeunes délinquants par des militaires sera envisagé.
- Création d’une peine de « bannissement numérique » dans le cadre de la loi SREN, permettant la suspension d’un compte sur les réseaux sociaux pendant six mois.
Le deuxième axe consiste à renforcer la responsabilisation des parents. Élisabeth Borne a souligné la nécessité d’agir face à la démission de certains parents face au comportement de leurs enfants. Plusieurs mesures ont été annoncées à cet égard :
- Aggravation des sanctions pour le délit de soustraction d’un mineur à ses obligations légales envers ses parents, avec une circonstance aggravante en cas de commission d’une infraction par le mineur, ainsi qu’une peine complémentaire de travail d’intérêt général (TIG).
- Création d’une « contribution citoyenne familiale éducative » que les mineurs et les parents devront verser à une association d’aide aux victimes.
- Renforcement de l’implication des parents dans les stages de citoyenneté ou de formation civique imposés aux mineurs, notamment par l’introduction d’un module sur les devoirs éducatifs des parents.
- Extension de la possibilité de prononcer des peines de stages de responsabilité parentale ou d’amende pour les parents défaillants lors d’audiences d’assistance éducative.
- Instauration de la responsabilité civile solidaire des deux parents d’un mineur délinquant, de sorte que les deux parents, qu’ils soient séparés ou non, soient financièrement responsables des dommages causés par leur enfant.
En ce qui concerne la réparation des dommages subis, Matignon a souligné la nécessité de collaborer avec l’agent judiciaire de l’État pour veiller à la réparation et au recouvrement des dommages subis par l’État et les collectivités locales dans toutes les affaires où les auteurs, mineurs ou majeurs, sont identifiés. Cette collaboration permettra aux tribunaux de fixer les dommages-intérêts dus en réparation des préjudices subis.
Outre les sanctions, la responsabilisation et la réparation, le gouvernement mettra en place un « accompagnement renforcé des familles et des jeunes ». Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de la prévention de la délinquance, lancera une concertation visant à favoriser la coordination des dispositifs existants, qu’ils soient portés par l’État, les départements, les communes ou les CAF.
Parmi les nouvelles mesures ou ambitions évoquées figurent :
- L’harmonisation et la professionnalisation des dispositifs de prévention, notamment le renforcement de la médiation sociale.
- L’élaboration d’une nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance, prévue pour début 2024.
- Le soutien financier des caisses d’allocations familiales pour étendre les horaires d’accueil en centres de loisirs le matin et le soir.
- La « reconquête » des vacances d’été pour les élèves en difficulté, tant au mois de juin pour les collèges et lycées qu’à la fin août.
- Le doublement du nombre d’heures d’enseignement moral et civique au collège dès la rentrée prochaine.
- La prise en charge intégrale du coût de l’internat pour certains élèves boursiers.
- L’ouverture de nouveaux Établissements pour l’insertion dans l’emploi (Epide) dans les zones à taux de chômage élevé, notamment les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Un volet distinct de la stratégie post-émeutes est la « Force d’action républicaine » (FAR), une initiative prévue dans le programme électoral du Président Macron. Cette force, présentée par Élisabeth Borne, a pour mission de concentrer les efforts de l’État dans un quartier pour une période prolongée, en collaboration avec les acteurs locaux. Elle sera composée d’une équipe pluridisciplinaire adaptée aux besoins spécifiques du quartier, mobilisant les ressources humaines et financières nécessaires pour rétablir la paix publique, traiter la délinquance à sa source, et offrir un soutien aux familles, lutter contre le décrochage scolaire, promouvoir l’insertion, l’éducation civique, la culture, le sport et les loisirs.
La première phase d’intervention consistera en une expertise, qui pourra être réalisée par des corps d’Inspection, tels que l’Éducation nationale ou l’Igas. Ensuite, des équipes interviendront pendant plusieurs mois, notamment des magistrats et des professionnels de l’éducation et du social. La FAR sera pilotée localement par le maire, le préfet et le procureur de la République.
Élisabeth Borne a annoncé que la FAR serait déployée dans trois villes d’ici la fin de l’année : Besançon, Valence et Maubeuge.
Réaction de l’Association des Maires de France aux mesures gouvernementales
Après la présentation des grandes orientations par la Première ministre, l’Association des Maires de France a réagi en publiant un communiqué dans lequel elle a manifesté un vif intérêt pour ces mesures. Toutefois, elle estime qu’il est crucial d’obtenir des informations complémentaires afin de concrétiser ces annonces sur le terrain et d’évaluer leur efficacité.
Bien que l’AMF partage les principes d’action énoncés, elle souligne l’importance de reconnaître les insuffisances de l’action publique actuelle dans la lutte contre la dégradation des politiques de sécurité et de justice. Il est impératif de ne pas se contenter de répéter les initiatives précédentes sans s’attaquer aux questions fondamentales, notamment l’organisation de la chaîne pénale, la complexité des procédures et la faible présence des forces de l’ordre sur la voie publique.
L’association se félicite des propositions de concertation avancées par la Première ministre, en particulier en ce qui concerne les prérogatives et la formation des polices municipales, la nouvelle stratégie de prévention de la délinquance, le soutien à la parentalité et la professionnalisation de la médiation sociale. Elle s’engage activement à participer à ces discussions et à surveiller attentivement les modalités de financement de ces initiatives. Elle souligne également l’importance de veiller à ce que le renforcement des missions des polices municipales n’entraîne pas un désengagement des missions régaliennes de la police nationale et de la gendarmerie.
Concernant les annonces relatives aux aides financières, que ce soit pour la reconstruction des bâtiments publics endommagés lors des émeutes, en complément des indemnisations des assurances, ou pour le soutien et le développement de l’accueil périscolaire, l’AMF a précisé en prendre acte.
Quant à la « Force d’action républicaine » (FAR) prévue dans trois communes, l’AMF suivra attentivement sa mise en œuvre, en particulier en ce qui concerne sa pérennité. Toutefois, elle exprime des réserves quant à la nécessité d’un nouveau dispositif, étant donné les initiatives antérieures, telles que les quartiers de reconquête républicaine ou les groupements locaux de traitement de la délinquance, qui n’ont pas obtenu les résultats escomptés.
L’Association des Maires de France espère que ces orientations se traduiront rapidement dans la réalité des communes et de leurs habitants, contribuant ainsi à une amélioration tangible de la sécurité et de la qualité de vie.