Les élus locaux alertent depuis plusieurs années sur la lourdeur croissante de leur mandat. Entre surcharge administrative, responsabilités multiples et tensions accrues, le rôle de maire devient de plus en plus difficile à tenir. À l’approche des élections municipales de 2026, la question de l’attractivité du mandat se pose avec une acuité nouvelle.
Fatigue, pression et découragement : une réalité bien documentée
L’usure du mandat municipal n’est plus seulement une impression partagée entre élus : elle est désormais appuyée par des chiffres. Une enquête intitulée « Être maire aujourd’hui : engagés, débordés, malmenés : quels effets sur la santé ? », menée par deux sociologues du Centre de sociologie des organisations (Sciences Po et CNRS) avec le soutien de l’Association des maires de France, dresse un constat alarmant.
Réalisée entre le 17 mai et le 28 juin 2024 auprès de 4 928 maires, soit 14,1 % de la population concernée, elle révèle que 83 % des élus jugent leur mandat éprouvant pour leur santé. Troubles du sommeil, stress chronique, fatigue persistante… Ces symptômes touchent une majorité de maires, particulièrement dans les communes rurales, où la charge de travail repose souvent sur une seule personne, faute de personnel suffisant.
L’enquête souligne également que les horaires atypiques font partie intégrante du mandat : travail tardif en soirée, réunions le samedi matin, sollicitations le week-end… Ce rythme, souvent jugé inévitable, entraîne un empiètement important sur la vie privée. Près de 35 % des maires estiment manquer de disponibilité pour leurs proches.
La gestion municipale s’accompagne aussi d’une pression constante, renforcée par un cadre réglementaire toujours plus contraignant et des attentes croissantes des citoyens. Loin d’être un simple désagrément, cette situation fragilise les élus et questionne la pérennité même de l’engagement municipal.
Un climat de plus en plus hostile
L’usure psychologique des élus ne tient pas uniquement à l’ampleur de leur charge de travail. Depuis plusieurs années, les incivilités et agressions envers les maires se multiplient. En 2023, plus de 2 300 actes de violence verbale ou physique à l’encontre des élus locaux ont été recensés. Si certaines affaires ont marqué l’opinion publique, beaucoup restent méconnues, laissant les élus seuls face à ces situations.
Ce climat de tension s’accompagne d’un sentiment d’abandon. Confrontés à une bureaucratie toujours plus lourde, peinant à obtenir des moyens pour leurs projets et souvent sans relais institutionnel, de nombreux maires expriment un profond découragement.
L’enquête révèle également une charge mentale omniprésente mais peu exprimée. 64,8 % des maires déclarent vivre des situations où ils doivent penser à trop de choses à la fois et 40,1 % disent être souvent sous pression. Pourtant, cette difficulté reste largement taboue. Certains élus hésitent à en parler par crainte d’être perçus comme incapables d’exercer leur fonction.
Des réponses gouvernementales qui restent insuffisantes
Pour tenter d’apporter une réponse, un plan national de prévention et de lutte contre les atteintes aux élus a été lancé, incluant la création d’un centre d’analyse dédié et des mesures de protection renforcées. Mais ces actions, majoritairement axées sur l’aspect sécuritaire, ne prennent pas en compte les autres sources d’épuisement des élus.
Le poids des normes, pourtant régulièrement dénoncé par les associations d’élus, reste un problème majeur. L’enquête montre que 77 % des maires estiment ne pas avoir une action suffisamment efficace, en raison des lourdeurs administratives et des contraintes de gestion.
Une proposition de loi sur le statut de l’élu, qui prévoit notamment une revalorisation des indemnités et un meilleur accompagnement des élus dans leur vie professionnelle, doit être examinée à l’Assemblée nationale, mais rien ne garantit son adoption rapide.
À l’approche de 2026, une crise de l’engagement
Alors que les élections municipales approchent, la lassitude des élus pose une question centrale : qui voudra encore exercer cette fonction si elle devient un chemin de croix ? Lors du dernier scrutin, plusieurs milliers de communes avaient déjà eu du mal à trouver des candidats. La tendance pourrait s’aggraver si aucun signal fort n’est envoyé aux élus en poste.
L’enquête révèle que 45 % des maires interrogés ont envisagé de démissionner au cours de leur mandat. Ce chiffre grimpe dans les petites communes, où les moyens humains et financiers sont les plus limités.
Sans simplification administrative, sans reconnaissance institutionnelle et sans soutien effectif, le risque est grand de voir le maillage territorial se fragiliser. Un maire qui abandonne, c’est souvent une commune qui perd son pilier, laissant des citoyens sans interlocuteur direct et des territoires moins bien défendus.
Sources : Enquête ELUSAN (novembre 2024), Maire info, AMF.