FONDS EUROPÉENS : LA GRANDE RECENTRALISATION

Le 16 juillet, Ursula von der Leyen dévoilait un budget européen jugé « historique » : près de 2 000 milliards d’euros pour préparer la décennie 2028‑2034. Mais derrière l’écran de fumée, une inflexion inquiétante se dessine : moins de place pour la cohésion, plus pour la compétitivité, et surtout, un retour en force des États dans la gestion des fonds. Le même jour, l’élue finistérienne Nathalie Sarrabezolles (groupe PSE, Comité européen des Régions) tirait la sonnette d’alarme : ce que l’on présente comme une simplification masque une recentralisation pure et simple (lire notre article : L’Europe ne réussira pas sans la démocratie locale). Depuis, associations d’élus et Régions de France montent au créneau : une bataille s’ouvre pour défendre l’Europe des territoires.

Un big bang budgétaire

Derrière les 2 000 milliards affichés, la Commission européenne propose une refonte complète de l’architecture budgétaire de l’Union. Objectif affiché : simplification et efficacité. Concrètement, 52 programmes européens seraient fondus dans 16 « méga-fonds ». Parmi eux, un pilier de 865 milliards d’euros regrouperait les actuels fonds de cohésion, la PAC, mais aussi les budgets liés à l’immigration, à la pêche et au développement durable.

Un changement qui rebat totalement les cartes. Ce n’est plus une politique de cohésion identifiée, portée localement, mais une enveloppe globalisée, sous pilotage national.

Moins de cohésion, plus de compétitivité

La part de budget allouée à la cohésion territoriale chute de manière significative. De deux tiers du budget européen dans le cycle précédent, elle passe à 48 %. À l’inverse, les crédits consacrés à la compétitivité explosent : près d’un quart du budget total serait consacré aux technologies dites stratégiques : défense, spatial, numérique avec des enveloppes multipliées par cinq.

Mais le plus préoccupant reste ailleurs : le décaissement des fonds serait désormais conditionné à des « plans de réforme » élaborés par les États membres. Une recentralisation qui marginaliserait les régions, au mépris du principe de subsidiarité.

Une mobilisation des territoires

Face à cette inflexion, les associations d’élus locaux ont réagi immédiatement.

  • L’Afccre dénonce une remise en cause du rôle des collectivités dans la gestion des fonds et appelle les communes et régions à adopter une délibération de soutien à la politique de cohésion.

  • Régions de France parle d’un recul de l’intégration européenne, refuse toute mise sous tutelle nationale et rappelle le rôle essentiel des régions en tant qu’autorités de gestion.

  • L’AMF, dès le mois d’avril, avait déjà pris position contre toute recentralisation, insistant sur la nécessité de préserver un budget cohésion ambitieux et une gestion partagée.

Depuis Brest, un signal d’alerte

Cette inflexion, Nathalie Sarrabezolles l’avait vue venir. Dès la publication du projet de la Commission, la vice-présidente du groupe PSE au Comité des Régions publiait une lettre d’information sans ambiguïté : « Ce qui est en jeu, ce n’est pas la gestion d’un fonds, c’est la capacité des territoires à construire une cohésion sociale à hauteur d’humain, pas de tableau Excel. »

Quelques jours plus tôt, à Brest, la commission COTER s’était réunie en présence d’élus locaux, de parlementaires et de représentants européens. La visite du téléphérique urbain, financé avec l’aide de l’Union, avait rappelé combien l’Europe peut être un levier de transformation territoriale, à condition d’en préserver les canaux locaux.

FSE+ : ce que Bruxelles menace, Brest l’a déjà construit

Ce vendredi, dans une tribune publiée par Le Télégramme, Nathalie Sarrabezolles et Frédérique Bonnard ont pris la plume pour alerter sur ce que ce virage technocratique ferait perdre aux territoires. À Brest, « Défis emploi » a prouvé son efficacité : près de 9 000 contrats de travail signés entre 2014 et 2022, un coût par bénéficiaire bien inférieur à la moyenne régionale. Revenir sur cette gouvernance de proximité, ce serait casser ce qui fonctionne, au nom d’une centralisation abstraite. Leur conclusion claque comme un rappel à l’ordre : « Une Europe des territoires, ça se défend. Maintenant. »

Une bataille d’ici 2027

Le projet de budget n’est qu’un point de départ. Il devra être adopté à l’unanimité des États membres d’ici à 2027. En France, les négociations s’ouvrent avec les associations d’élus. L’Afccre appelle à la mobilisation, y compris symbolique, pour peser dans le rapport de force.

Au niveau européen, les eurodéputés S&D ont cosigné un courrier avec le Comité des Régions à l’attention d’Ursula von der Leyen. La présidente a répondu avoir « entendu » leurs inquiétudes. Reste à voir si elle les traduira en actes.

Car une Europe recentralisée est bel et bien une Europe en sursis. L’enjeu dépasse la technique budgétaire : il touche au cœur de la démocratie européenne. Revenir à une logique de pilotage national, c’est nier l’intelligence des territoires, briser la proximité, neutraliser l’agilité locale. C’est prendre le risque d’un éloignement durable entre l’Europe et ses citoyens.

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