RÉÉQUILIBRER LE POUVOIR LOCAL

Dans la France des territoires, le pouvoir local s’est peu à peu concentré.
À force de renforcer les exécutifs, maires, présidents d’intercommunalité ou de département, la délibération s’est parfois effacée derrière la gestion. Le débat politique, celui qui fait vivre la démocratie au quotidien, se trouve trop souvent relégué au second plan.

Le politiste Hugues Portelli l’avait observé dès le début des années 2000 : « L’absence de séparation des pouvoirs entre organes exécutifs et délibérants limite drastiquement les pouvoirs réels des assemblées. »
Autrement dit, les conseils élus ont parfois les mains liées face à des exécutifs devenus difficilement révocables, même lorsqu’ils ne disposent plus d’une majorité de confiance.

Ce déséquilibre n’est pas seulement théorique. Il a conduit, ces dernières années, à des situations de blocage dans certaines grandes villes et métropoles, où les élus n’avaient plus aucun levier juridique pour remettre en cause la légitimité de leur exécutif.
Déposée au Sénat en septembre 2025, une proposition de loi vise à redonner aux assemblées locales un véritable pouvoir de contrôle sur leurs exécutifs.

Un mécanisme connu ailleurs

La mesure n’a rien de révolutionnaire.
Plusieurs collectivités d’outre-mer, comme la Corse, la Polynésie française, Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon, disposent déjà d’un outil similaire : la motion de défiance constructive.
Son principe est clair : une assemblée peut retirer sa confiance à son exécutif, mais à condition de proposer dans le même temps une alternative majoritaire. L’objectif n’est donc pas d’alimenter l’instabilité, mais de rendre le pouvoir réellement responsable devant ceux qui l’ont élu.

Ce mécanisme figure d’ailleurs parmi les critères de bonne gouvernance énoncés par la Charte européenne de l’autonomie locale, que la France a ratifiée en 2007.
Pour nombre de juristes, il s’agit d’une traduction logique du principe de responsabilité : la confiance donnée par le suffrage ne doit pas être un chèque en blanc pour six ans.

Une proposition très encadrée

Le texte sénatorial précise les garde-fous :
une motion devrait être signée par au moins un tiers des membres du conseil, motivée, proposer une équipe alternative, et ne pourrait être votée qu’après 48 heures de réflexion.
Elle ne serait adoptée qu’à la majorité absolue des élus, un seuil exigeant qui préserve la stabilité des institutions.

L’idée n’est donc pas de fragiliser les exécutifs locaux, mais d’introduire un contre-pouvoir raisonné : une manière de rappeler que le débat, la reddition de comptes et la transparence ne sont pas des faiblesses de la démocratie, mais sa force même.

Un enjeu démocratique plus large

Cette réflexion dépasse le simple cadre juridique.
Dans un moment où la confiance envers les institutions nationales s’effrite, les collectivités locales restent un repère : selon le dernier baromètre du Cevipof, 58 % des Français font confiance à leur conseil municipal, bien plus qu’à l’Assemblée nationale ou au gouvernement.
Ce capital de confiance mérite d’être consolidé. Il suppose que le fonctionnement des assemblées locales soit à la hauteur des attentes citoyennes : plus ouvert, plus délibératif, plus responsable.

Renforcer la démocratie locale, ce n’est pas bouleverser l’équilibre des pouvoirs. C’est simplement reconnaître que la proximité donne des devoirs autant que des droits, et que les élu·es doivent pouvoir rendre compte à tout moment de l’usage du mandat qui leur a été confié.

La démocratie, un exercice permanent

Introduire la possibilité d’une motion de défiance constructive, c’est donc redonner souffle à la délibération locale.
C’est rappeler, comme le disait Pierre Mendès France, que « la démocratie n’est pas quelque chose d’épisodique qui se joue tous les cinq ans » : elle se vit, se discute, s’ajuste, jour après jour, dans les assemblées communales, intercommunales ou régionales.

Dans une France décentralisée, mais encore marquée par une forte culture verticale, cette proposition ouvre un débat salutaire.
Non pour renverser les maires ou les présidents d’intercommunalité, mais pour réhabiliter le rôle politique des conseils.
C’est une manière, discrète mais essentielle, de rappeler que la démocratie locale n’a pas vocation à être silencieuse, elle a vocation à être vivante.

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