EAU POTABLE : LES COLLECTIVITÉS FACE À UNE FACTURE QUI N’EST PAS LA LEUR

Il y a parfois des signaux faibles qui deviennent impossibles à ignorer. La dégradation de la qualité de l’eau potable en France en fait désormais partie. En quatre ans, le taux de réseaux pleinement conformes aux normes de potabilité est passé de 95% à 85%. Une baisse brutale, révélée par les analyses des agences régionales de santé et consolidée par l’UFC-Que Choisir dans plusieurs études successives. Pesticides, métabolites nouvellement détectés, nitrates, polluants éternels : les causes se multiplient, mais les conséquences, elles, reposent toujours sur les mêmes épaules. Celles des communes, des syndicats d’eau et, au bout de la chaîne, des habitants.

Cette dégradation n’est pas liée à un changement soudain des pratiques agricoles ou industrielles. Elle vient surtout d’une avancée technique : depuis 2023, les ARS recherchent de nouvelles molécules issues de pesticides pourtant interdits depuis des années. Chloridazone, chlorothalonil, alachlore. Des noms peu connus du grand public, mais dont les résidus persistent dans les sols et rejoignent encore aujourd’hui les nappes phréatiques. Les interdictions tardives n’effacent pas les usages passés. Elles laissent des traces, et ces traces, ce sont les collectivités qui doivent désormais les dépolluer.

La prise de conscience est d’autant plus forte que la pollution ne se limite plus aux seules communes rurales situées en zones agricoles. Reims, Beauvais, Caen, La Rochelle ou Calais figurent désormais parmi les territoires où des dépassements ont été identifiés. Cette extension géographique dit tout de l’ampleur d’un phénomène national qui ne se laisse plus enfermer dans les frontières d’un seul secteur ou d’un seul modèle économique.

Face à ces contaminations, les gestionnaires de l’eau ont une obligation simple : rétablir la conformité dans les meilleurs délais. Filtration sur charbon actif, analyses renforcées, renouvellement d’infrastructures, installation de membranes capables de traiter les PFAS. Chaque dépassement ouvre un chantier technique et financier. Et le coût de ces chantiers se voit déjà sur les factures. Selon l’Insee, le prix moyen du mètre cube d’eau a augmenté de 16% en 30 mois, après une décennie de stabilité. Une hausse inévitable, qui traduit la réalité d’un système où la dépollution coûte cher et où le principe pollueur-payeur ne fonctionne pas.

Car c’est bien là le nœud du problème. 3/4 des nitrates et 70% des pesticides proviennent du secteur agricole. Une partie importante des PFAS est issue de procédés industriels. Pourtant, ce sont les collectivités et les ménages qui financent l’essentiel de la dépollution. L’UFC-Que Choisir estime déjà à plus d’un milliard d’euros par an la dépense assumée collectivement pour rendre l’eau potable conforme aux normes. Une somme qui ne couvre qu’une partie des besoins à venir : une étude nationale évalue à 13 milliards d’euros par an les investissements nécessaires pour garantir durablement la qualité de l’eau, dont 5 milliards uniquement pour les coûts environnementaux.

Face à ces montants, les grandes structures peuvent absorber une partie de l’effort grâce à des économies d’échelle. Mais pour un syndicat rural, une intercommunalité modeste ou une commune isolée, la question est beaucoup plus directe : comment financer de telles installations sans renoncer à d’autres dépenses essentielles ? Cet été, plusieurs maires des Ardennes et de la Meuse se sont déclarés abandonnés après la découverte de taux record de polluants éternels. Un sentiment qui n’est pas isolé. Il est le reflet d’une réalité que les élus connaissent trop bien : les normes se renforcent, les obligations s’accumulent, mais les moyens n’augmentent pas en proportion.

Ce décalage nourrit aujourd’hui une exaspération qui dépasse le cercle des experts. L’UFC-Que Choisir a lancé une campagne nationale intitulée « La goutte de trop » pour exiger l’application du principe pollueur-payeur. L’association appelle même les usagers à renvoyer symboliquement leur facture d’eau aux décideurs pour dénoncer une injustice devenue flagrante. Le message est clair : les ménages et les collectivités n’ont pas à payer pour des pollutions dont ils ne sont pas responsables.

Les solutions existent pourtant, et elles sont connues. Elles sont amont, préventives, structurelles. Mieux encadrer les autorisations de pesticides, financer des études toxicologiques indépendantes, protéger réellement les captages, renforcer la redevance pour pollution diffuse. Aucune de ces pistes ne relève de l’utopie. Elles demandent simplement un choix politique : celui de traiter les causes, pas seulement les effets.

Pour les collectivités, la situation n’est pas nouvelle. Elles assurent depuis longtemps l’accès à une eau potable sûre et de qualité. Mais l’effort nécessaire pour faire face à des pollutions anciennes, diffuses et persistantes dépasse désormais leurs capacités financières et techniques. Elles se retrouvent en première ligne d’un défi national sans que les responsabilités soient pleinement assumées en amont. Tant que cette contradiction ne sera pas levée, les factures continueront de grimper, les infrastructures de vieillir, et les élus d’endosser une charge qui ne devrait pas être la leur.

L’eau potable reste sûre en France. Mais elle est sûre au prix d’une dépollution de plus en plus coûteuse. La question n’est donc pas de savoir si l’on peut boire l’eau du robinet. Elle est de savoir combien de temps encore les collectivités pourront absorber une facture qui ne leur appartient pas. Tant que le pollueur-payeur demeurera un principe théorique et non appliqué, la réponse continuera de peser sur les territoires.

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