À l’occasion du Congrès des maires, l’AMF et la Mutualité Française ont publié la 3e édition de leur baromètre santé-social. Depuis 2020, ce document dresse tous les 2 ans un état des lieux minutieux de l’accès aux soins, de l’action sociale, de la santé environnementale et, depuis cette année, de la santé mentale. Cette nouvelle édition ne laisse guère place au doute : d’un territoire à l’autre, les difficultés s’accumulent et les écarts se renforcent. Les communes, en première ligne, tentent d’amortir le choc, mais leurs efforts ne suffisent plus à compenser les faiblesses structurelles du système.
L’accès aux soins illustre le mieux cette inflexion. La France compte aujourd’hui un peu plus de 100 000 médecins généralistes, un redressement timide après des années de baisse, mais qui ne modifie pas la réalité vécue par des millions d’habitants. Rapportée à la population, la densité médicale continue de diminuer et les contrastes territoriaux demeurent extrêmes : certains départements disposent d’un maillage satisfaisant, d’autres sont devenus de véritables zones grises. Le baromètre chiffre désormais à 87 % la part de la population vivant dans une zone sous-dense. En parallèle, près de 6 millions de personnes n’ont plus de médecin traitant. La situation touche même 400 000 malades chroniques, pour qui l’absence de suivi médical régulier constitue une rupture lourde de conséquences.
Cette raréfaction de l’offre entraîne mécaniquement une hausse de la renonciation aux soins. 65 % des Français déclarent avoir dû renoncer à un soin, souvent faute de médecin disponible, parfois pour des raisons financières, notamment en raison de la progression des dépassements d’honoraires ou du doublement des franchises. Quant aux dispositifs mis en place dans l’urgence, comme les consultations solidaires, ils ne couvrent qu’une très faible part de la population et ne s’adressent ni aux zones de montagne ni aux quartiers prioritaires.
Les tensions touchent aussi le secteur du grand âge. Le nombre de places en Ehpad recule, alors même que la population vieillit. 73 % des résidents ne peuvent déjà pas assumer le coût moyen d’une journée, et les difficultés financières de nombreux établissements ne laissent présager aucune amélioration rapide. La France semble mal préparée à la montée des besoins liés à la perte d’autonomie, malgré les alertes répétées des élus.
Le secteur de la petite enfance, lui aussi sous pression, peine à se stabiliser. Les créations de places en crèche n’équilibrent pas les départs à la retraite des assistantes maternelles, très nombreuses cette année encore. Plus de 6 000 équivalents temps plein restent vacants, empêchant l’ouverture de berceaux pourtant indispensables. La baisse de la natalité relâche ponctuellement la demande, mais ne change rien aux déséquilibres structurels du secteur : manque d’attractivité, formation insuffisante, complexité du pilotage national.
La santé mentale fait, pour la première fois, l’objet d’un chapitre développé du baromètre. Les écarts y apparaissent encore plus flagrants que dans le reste du système. Dans certains territoires, le nombre de psychiatres est 14 fois inférieur à celui d’autres départements mieux dotés. L’Allier ou le Cantal ne disposent plus du tout de pédopsychiatre, alors que les signaux d’alerte se multiplient : 1 jeune sur 4 présente des symptômes dépressifs, un chiffre encore plus élevé dans les outre-mer. Les délais d’accès aux centres médico-psychologiques allongent des parcours déjà fragiles, laissant de nombreuses familles dans une situation d’attente intenable. Quelques évolutions positives existent, comme l’augmentation du nombre de psychologues ou la création progressive de conseils locaux de santé mentale, mais elles ne suffisent pas à absorber l’ampleur des besoins.
La santé environnementale, autre volet suivi régulièrement par le baromètre, met aussi en évidence des écarts persistants entre territoires. Qualité de l’air, de l’eau, exposition aux polluants : les résultats varient fortement selon les départements. 72 % des Français se disent inquiets de l’impact de leur environnement sur leur santé, sans que la stratégie nationale, annoncée depuis 2 ans, ait été mise à jour. Là encore, les collectivités tentent d’agir via la prévention, la sensibilisation ou des actions locales de réduction des risques, mais leurs marges de manœuvre restent limitées.
Malgré ce panorama sombre, le baromètre recense plusieurs démarches locales qui montrent ce qu’il est encore possible de faire lorsque les acteurs parviennent à se coordonner. Le centre de santé de Moulins, dans l’Allier, associe ville et hôpital dans une organisation pensée à l’échelle du territoire. En Haute-Saône, le Buccobus réintroduit le soin dentaire dans des zones rurales totalement dépourvues d’offre. D’autres collectivités forment leurs agents ou leurs habitants aux premiers secours en santé mentale, s’engagent contre les perturbateurs endocriniens ou développent des actions de prévention autour du bien-vieillir. Toutes ces initiatives reposent sur des alliances entre élus, professionnels et acteurs mutualistes, et démontrent qu’un travail patient peut produire des effets concrets.
L’AMF et la Mutualité Française convergent toutefois vers une même conclusion. Ces initiatives, aussi utiles soient-elles, ne peuvent porter seules la responsabilité d’une politique de santé qui manque d’un pilotage national cohérent. Elles insistent sur la nécessité d’une stratégie claire, lisible et construite avec les territoires, à la hauteur des enjeux démographiques, sociaux et sanitaires qui traversent le pays. Au fond, le baromètre confirme une réalité devenue centrale dans les politiques publiques : les fractures sanitaires ne se réduiront pas sans une stratégie nationale qui s’appuie enfin sur les territoires.
Le Baromètre santé-social 2025 publié par l’AMF et la Mutualité Française est disponible ci-dessous en version feuilletable.


