CARTE SCOLAIRE : LE SÉNAT APPELLE À ROMPRE AVEC LA GESTION AU COUPERET

Il aura fallu des années de fermetures annoncées au dernier moment, de réunions tendues en CDEN et de promesses présidentielles restées sans lendemain pour que le constat s’impose jusque dans un rapport parlementaire : la carte scolaire est encore trop souvent décidée contre les territoires, et non avec eux. Ce que les maires dénoncent depuis des années, le Sénat le met aujourd’hui noir sur blanc.

Le diagnostic est sans détour. L’élaboration de la carte scolaire repose toujours largement sur une mécanique descendante, où des arbitrages nationaux s’imposent ensuite localement, au prix d’une concertation réduite à la portion congrue. Dans les faits, les élus locaux découvrent trop souvent les décisions une fois qu’elles sont déjà verrouillées. Cette méthode, qualifiée sans ambages de « couperet », produit un sentiment d’irréversibilité et d’impuissance, particulièrement fort dans les petites communes.

La baisse démographique, bien réelle, sert aujourd’hui de toile de fond à cette gestion technocratique. Près d’un million d’élèves en moins à l’horizon 2029 : le chiffre est connu, répété, brandi. Mais le Sénat refuse d’en faire une justification automatique aux fermetures. Il rappelle au contraire que cette évolution pourrait être mise au service d’une meilleure qualité éducative et d’une organisation plus fine du maillage scolaire. Encore faut-il accepter de sortir du réflexe comptable.

Les conséquences des décisions actuelles ne sont pas neutres. Le rapport souligne que les fermetures d’écoles ont été proportionnellement plus nombreuses en milieu rural que sur le reste du territoire. Dans des communes où l’école ne compte parfois que trois ou quatre classes, la suppression d’un poste suffit à fragiliser l’ensemble de l’établissement. Dans une commune de petite taille, la fermeture d’une classe pèse immédiatement sur les projets d’accueil, de logement et sur la capacité à attirer de nouvelles familles. L’école n’est pas un équipement parmi d’autres. Elle structure la vie locale, et sa disparition marque souvent un point de non-retour.

C’est précisément cette réalité que la logique actuelle peine à appréhender. Le recours quasi exclusif à des ratios nationaux, comme le taux d’encadrement, ignore des paramètres essentiels : temps de transport des élèves, proportion de classes multiniveaux, stabilité des équipes pédagogiques, accueil d’enfants à besoins particuliers, ou encore projets d’aménagement engagés par les communes. Le Sénat le reconnaît clairement : une école fortement contrainte par ces réalités ne peut être considérée comme « surdotée » au seul motif que ses effectifs baissent.

Le Sénat propose de rompre avec les décisions prises d’une année sur l’autre, en donnant à la carte scolaire une logique pluriannuelle fondée sur des projections démographiques partagées. L’idée de conventions triennales entre l’État et les collectivités, assorties d’engagements réciproques, vise à sortir de l’imprévisibilité actuelle. Dans les communes les plus fragiles, notamment en zones France Ruralités Revitalisation ou dans les écoles de très petite taille, la neutralisation temporaire des fermetures de classes permettrait d’éviter des décisions irréversibles prises dans l’urgence.

Le rapport insiste également sur un point souvent négligé : les instances de concertation existent, mais elles sont trop souvent vidées de leur substance. Les conseils départementaux de l’Éducation nationale, où siègent les élus, fonctionnent encore trop fréquemment comme de simples chambres d’enregistrement. Le Sénat appelle à un rééquilibrage, afin que les collectivités puissent réellement peser sur des décisions qui engagent directement leur avenir.

Ce travail n’est pas le fruit d’une posture isolée. Il s’inscrit dans une démarche transpartisane portée par plusieurs rapporteurs issus de sensibilités politiques différentes, parmi lesquels figure la sénatrice socialiste du Calvados Corinne Féret, vice-présidente de la Délégation aux collectivités territoriales. Sa participation rappelle que la question de la carte scolaire n’est ni idéologique ni marginale. Elle touche au cœur de l’égalité territoriale et à la place reconnue aux élus locaux dans la conduite des politiques publiques.

Les constats du Sénat ne sont pas isolés. Ils s’inscrivent dans un contexte plus large de fragilisation du service public d’éducation, que la Cour des comptes a récemment documenté. Celle-ci relève de fortes disparités territoriales dans le remplacement des enseignants au collège, avec des volumes d’heures de cours non assurées très variables selon les territoires. Dans certaines communes, les élus voient ainsi se cumuler fermetures de classes et difficultés à assurer la continuité pédagogique.

Reste désormais à savoir ce que l’exécutif fera de ces propositions. Un protocole d’accord a bien été signé au printemps 2025 entre l’État et l’Association des maires de France, mais il relève encore du droit souple et ne garantit pas un changement durable de méthode. Pour un gouvernement qui affirme vouloir renforcer la décentralisation et la différenciation territoriale, la carte scolaire constitue un test grandeur nature.
Les outils existent, les constats sont posés, les élus sont prêts à s’engager. Reste à savoir comment l’État entend désormais agir. 

Pour aller plus loin : la synthèse du rapport du Sénat sur la compétence scolaire des collectivités territoriales.

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