Contrat d’Engagement Républicain : L’inquiètude des associations

Après une année d’utilisation, les associations s’insurgent concernant l’usage détourné de cet outil. Si peu de cas de mobilisation de ce contrat sont aujourd’hui recensés, un clivage politique semble se dessiner au niveau local. Le CER permet-il vraiment de lutter contre les séparatismes ? Pose-t-il plus de questions qu’il ne résout de problèmes ?

Le Contrat d’Engagement Républicain, c’est quoi déjà ?

Le contrat d’engagement Républicain a pour objet de préciser les engagements que prend toute association ou fondation qui sollicite une subvention publique ou un agrément de l’Etat. Ainsi, l’association ou la fondation « s’engage (…) à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine ainsi que les symboles de la République (…) », « à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République » et « à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public ».

Des engagements souscrits dans le respect des libertés constitutionnellement reconnues, notamment la liberté d’association et la liberté d’expression dont découlent la liberté de se réunir, de manifester et de création.

Depuis 2022, une association qui sollicite une subvention publique ou un agrément de l’Etat (y compris pour l’accueil de services civiques) doit souscrire aux 7 engagements du contrat, qui sont :

  • ENGAGEMENT N° 1 : RESPECT DES LOIS DE LA RÉPUBLIQUE
  • ENGAGEMENT N° 2 : LIBERTÉ DE CONSCIENCE
  • ENGAGEMENT N° 3 : LIBERTÉ DES MEMBRES DE L’ASSOCIATION
  • ENGAGEMENT N° 4 : ÉGALITÉ ET NON-DISCRIMINATION
  • ENGAGEMENT N° 5 : FRATERNITÉ ET PREVENTION DE LA VIOLENCE
  • ENGAGEMENT N° 6 : RESPECT DE LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE
  • ENGAGEMENT N° 7 : RESPECT DES SYMBOLES DE LA RÉPUBLIQUE

 

Toute association qui souscrit ce contrat doit :

  • En informer ses membres par tout moyen (notamment l’affichage dans ses locaux ou une mise en ligne sur son site internet),
  • S’engager à en respecter les termes,
  • S’engager à le faire respecter par ses dirigeants, salariés, membres et bénévoles, tout manquement étant susceptible d’entraîner le retrait partiel ou total de la subvention perçue.

A noter : Le terme « subvention » désigne à la fois les subventions en numéraireattribuées par la collectivité, ainsi que les subventions en nature (mise à disposition à titre gracieux de salles, locaux divers, de matériel, formations dispensées gratuitement, …).

Bilan, un an après

Avec le CER, il y avait cette idée de lutter contre des formes de clientélismes communautaires ou associatifs, et que face aux intérêts électoraux de certains élus locaux, l’État devait se faire le garant de l’intérêt général. Aux associations, le CER avait été présenté comme un outil « protecteur » face à certaines collectivités territoriales qui faisaient signer aux associations locales des « chartes » avec une vision assez extensive de la laïcité. Mais un an après la publication du décret CER, les cas documentés d’utilisation interrogent.

Les exemples ne manquent pas : à Chalon-sur-Saône, le CER a été invoqué pour empêcher une manifestation du Planning Familial pour la journée de la femme. Motif : la brochure de l’association montrait un visage de femme portant le voile. Débouté devant le Tribunal administratif puis devant le Conseil d’État, le maire en a été pour ses frais.

Autre exemple : la Maison régionale de l’environnement et des solidarités de Lille. Son directeur a été convoqué à la préfecture pour « non-respect du CER ». Motif : le prêt d’une salle à l’association « Non à l’aéroport de Lille-Lesquin » qui, par son opposition à ce projet controversé, ferait la promotion de la désobéissance civile. Lors de son entrevue avec le préfet, le directeur comprend que ses déboires ont également un lien avec le Président de la Région, Xavier Bertrand, qui aurait été excédé par un reportage d’une chaîne de télévision évoquant de possibles actions de l’association en question.

Enfin, dernièrement, à Poitiers. Le préfet de la Vienne a ordonné à un édile de retirer les subventions allouées par la ville à une association en vue de la tenue de son « village des alternatives ». L’événement, organisé sur deux jours, devait accueillir des tables-rondes, des expositions, divers stands ainsi qu’une formation… à la désobéissance civile.

L’amplitude des marges, qu’elles soient laïques ou bien d’ordre public créée l’inquiétude au sein du monde associatif. La relation de confiance, qui prévalait jusque-là depuis la loi de 1901, ne risque-t-elle pas de devenir une relation de défiance ? De plus, il semble que ce sont les associations écologistes les plus ciblées par cet outil et notamment celles revendiquant ou pratiquant la désobéissance civile. Surprenant, vu l’exposé initial des motifs de la loi

Même si les problématiques d’utilisation du CER demeurent peu nombreuses jusqu’ici, leurs effets risquent de se diffuser largement dans le monde associatif avec une forme d’auto-censure et de sur-censure . S’il est normal que la préfecture opère un contrôle de légalité sur les comptes de la collectivité, ce qui est dangereux, c’est qu’une ligne politique départementale puisse se substituer à une ligne politique communale. De nombreuses communes risquent de renoncer à allouer certaines subventions par peur des « représailles » du préfet.

Subsiste un doute : une utilisation plus politique du CER, d’une certaine instrumentalisation tantôt par des édiles tantôt par l’Etat, plutôt qu’un recours dans la lettre et dans l’esprit de la loi. En effet, les cas documentés d’utilisation du CER, depuis sa mise en place, font apparaître une ligne de fracture. D’un côté des élus de droite qui le mobilisent contre des associations aux motifs d’atteinte à la laïcité ou à l’ordre public ; de l’autre des élus qui sont empêchés, par leur préfet, de financer une association par l’intermédiaire du CER.

Quant aux associations islamistes, aucune remontée n’est disponible vis-à-vis des utilisations de CER (par des élus / ou préfets) posant pourtant de réels soucis d’atteinte aux valeurs de la République. Très agiles, elles sont capables de se créer, de se dissoudre puis de se recréer sous un autre objet, ces associations prosélytes ou dangereuses concernant la cohésion sociale réclament rarement des subventions publiques (ou des locaux) afin d’échapper le plus longtemps possible à la vigilance des collectivités et des contrôles.

A l’origine du CER, Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, reconnaissait déjà en janvier 2022 : « L’objet de ce contrat n’est pas d’empêcher l’activité des associations confessionnelles. D’ailleurs, la plupart du temps, elles ne sollicitent pas d’argent public. Ce qui nous importe, c’est de combattre les faux nez, ceux qui détournent le but affiché par une association pour faire du prosélytisme. » Or, après un an, le résultat s’avère bien maigre.

En optant pour un financement des « bons soldats », n’allons-nous pas vers une réduction du pluralisme et un affaiblissement de la démocratie à terme ?

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