DÉSERTS MÉDICAUX : LE TEMPS DES LABELS, L’URGENCE DES COMMUNES

Lorsqu’un médecin cesse son activité, ce ne sont ni les ministères ni les agences qui voient arriver les habitants inquiets. Ce sont les maires. Lorsqu’un cabinet ne trouve pas de successeur, ce sont les communes et les intercommunalités qui cherchent des solutions, souvent dans l’urgence, parfois sans cadre lisible. C’est à cette réalité que se heurtent aujourd’hui les annonces nationales sur l’accès aux soins.

Avec l’adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, les députés ont acté la création d’un réseau baptisé France Santé, présenté par le gouvernement comme un outil de lutte contre les déserts médicaux. Le dispositif repose sur la labellisation de structures existantes, maisons de santé, centres de santé, pharmacies ou dispositifs mobiles, assortie d’un forfait d’environ 50 000 euros. L’objectif affiché est ambitieux, avec 2 000 structures labellisées d’ici l’été 2026 et 5 000 à l’horizon 2027.

Le texte a été adopté à l’Assemblée nationale dans un contexte politique contraint. Les groupes Renaissance et MoDem ont voté en faveur du PLFSS, rejoints par une large majorité des députés socialistes et du groupe Liot. Pour les socialistes, ce vote était conditionné à la suspension de la réforme des retraites jusqu’en 2028. Il ne vaut pas approbation de l’ensemble des mesures du texte. Sur le réseau France Santé, les élus socialistes ont exprimé des réserves, jugeant préférable d’attendre le projet de loi annoncé sur la décentralisation avant d’aller plus loin sur un dispositif largement piloté par l’État.

Ces réserves se sont exprimées de manière encore plus nette au Sénat. Lors de l’examen du PLFSS, la Haute Assemblée a très largement rejeté la création du réseau France Santé en adoptant deux amendements de suppression à une écrasante majorité. Le signal politique est clair. Pour de nombreux sénateurs, toutes sensibilités confondues, le dispositif relève avant tout d’une opération de visibilité, sans réponse structurelle à la pénurie de professionnels de santé.

« Ça fait un peu cher le panneau France Santé », a résumé la sénatrice communiste Céline Brulin, estimant que les crédits annoncés seraient plus utiles s’ils permettaient de renforcer directement l’offre de soins. La sénatrice socialiste Émilienne Poumirol a, dans le même esprit, rappelé que dans les territoires sous-dotés, le problème n’est pas d’identifier un cabinet existant, mais bien de faire venir et rester des médecins. L’amendement de suppression porté notamment par la sénatrice Corinne Imbert, apparentée Les Républicains, a été adopté par 302 voix contre 35.

Plusieurs élus ont également alerté sur les effets induits du dispositif. Le forfait financier attaché au label pourrait créer des effets d’aubaine, tandis que les structures non labellisées risqueraient de devenir moins visibles, voire marginalisées. Dans des territoires déjà fragilisés par la pénurie médicale, certaines organisations pourtant indispensables pourraient se retrouver mises à l’écart faute de satisfaire à des critères difficilement atteignables.

Car l’obtention du label France Santé serait conditionnée à des exigences élevées, présence garantie d’un médecin et d’une infirmière, absence de dépassements d’honoraires, ouverture au moins cinq jours par semaine, avec la promesse d’un accès aux soins sous quarante-huit heures et à trente minutes du domicile. Pour de nombreux élus locaux, ces objectifs relèvent davantage de l’intention que d’une réponse adaptée aux réalités de terrain.

Au-delà du débat parlementaire, ces critiques font écho à ce que vivent déjà les communes et les intercommunalités. Depuis plusieurs années, ce sont elles qui portent l’essentiel des réponses face à la désertification médicale, création ou rénovation de maisons de santé, mise en place de centres de santé avec médecins salariés, mise à disposition de locaux, accompagnement au logement, coordination avec les CPTS, dialogue avec les hôpitaux de proximité. Ces initiatives reposent sur une connaissance fine du territoire et sur des arbitrages budgétaires lourds, dans un contexte financier contraint.

Elles se heurtent pourtant à des limites bien connues. La pénurie médicale ne se décrète pas. Les marges de manœuvre locales restent étroites face à un pilotage largement assuré par les agences régionales de santé. Les dispositifs nationaux s’ajoutent parfois à l’existant sans toujours renforcer les dynamiques déjà engagées.

Dans ce contexte, la question posée par le réseau France Santé dépasse largement celle d’un label. Pour les élus locaux, l’enjeu central reste la capacité à attirer et maintenir durablement une offre de soins sur leur territoire, avec des professionnels présents, des conditions d’exercice soutenables et une organisation cohérente avec les réalités locales.

Face aux déserts médicaux, les communes ne demandent pas d’annonces supplémentaires. Elles demandent que leur rôle soit reconnu, que les projets qu’elles portent soient consolidés et que les politiques nationales s’inscrivent dans une logique de coopération plutôt que de surplomb. C’est à cette condition que les dispositifs annoncés pourront produire autre chose qu’un simple affichage.

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