Gestion du littoral : Le Conseil d’État, l’AMF et l’ANEL face aux enjeux des communes

Le recul du trait de côte est devenu un sujet majeur en France au cours des dernières années. Les changements climatiques et l’érosion côtière ont contraint le pays à revoir sa législation pour faire face aux défis qui en découlent. Une étape cruciale de cette évolution législative a été franchie avec l’ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022, relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte. Cette législation comporte des enjeux essentiels pour les maires et les collectivités locales.

Pour comprendre pleinement l’impact de cette ordonnance, il est nécessaire de revenir sur les textes législatifs antérieurs. La loi n° 2021-1104 climat/résilience du 22 août 2021 a déjà apporté d’importantes modifications à la législation concernant le recul du trait de côte. Ces changements incluent une extension des informations à fournir aux acquéreurs ou locataires, la mise à jour des Stratégies nationales et locales de gestion intégrée du trait de côte, et la création du Conseil national de la mer et des littoraux. En outre, cette loi a établi par décret la liste des communes exposées à l’érosion côtière, avec des réglementations spécifiques pour l’urbanisme et la prise en compte dans le Schéma d’aménagement régional.

L’ordonnance du 6 avril 2022, également connue sous le nom d' »aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, » a apporté des précisions sur plusieurs points. Elle a notamment clarifié le droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte, les indemnités en cas d’expropriation, et les mécanismes d’indemnisation du fonds Barnier. De plus, elle a élargi le champ d’application des réserves foncières visant à prévenir les conséquences du recul du trait de côte. Un bail réel de longue durée a également été créé pour faire face à l’érosion côtière, offrant des droits réels immobiliers pour occuper, louer, exploiter, construire ou réhabiliter des installations sur les zones exposées au recul du trait de côte.

Cependant, ces évolutions législatives n’ont pas été sans susciter des inquiétudes parmi les maires et les collectivités locales. L’Association des Maires de France et l’Association Nationale des Élus du Littoral ont porté cette ordonnance devant les instances judiciaires, soulevant des préoccupations majeures ( voir le communiqué de presse). Ils ont notamment exprimé leurs inquiétudes concernant le caractère urgent de l’adoption de l’ordonnance. Ils estiment que les communes littorales soumises à cette ordonnance n’ont pas reçu suffisamment d’informations sur les implications de cette législation, en particulier en ce qui concerne la gestion de l’exposition à l’érosion côtière, les servitudes d’inconstructibilité, et le financement des mesures à mettre en place.

L’AMF et l’ANEL soulignent également que l’ordonnance semble écarter en partie le cadre législatif établi par la loi climat/résilience de 2021, notamment en ce qui concerne les ouvrages de protection et les mesures d’accompagnement en cas d’expropriation. Ils considèrent que cette ordonnance transfère des charges de l’État aux communes sans leur fournir les ressources financières nécessaires pour faire face à ces nouvelles responsabilités, alors que le coût estimé de l’érosion côtière se chiffre en dizaines de milliards d’euros.

Le rejet des recours par le Conseil d’État

Le Conseil d’État a récemment statué sur les recours déposés contre l’ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte. Les associations requérantes avaient soulevé plusieurs points de contestation, mais le Conseil d’État a rejeté ces requêtes (lire ici)

L’une des questions posées portait sur l’applicabilité de certaines dispositions de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (notamment l’article 242) à l’ordonnance. Le Conseil d’État a conclu que ces dispositions n’étaient pas directement liées à l’ordonnance de 2022 et que par conséquent, les arguments basés sur ces dispositions étaient irrecevables.

De plus, le Conseil d’État a rejeté l’argument selon lequel l’ordonnance violait le principe de libre administration des collectivités territoriales. Il a souligné que les dispositions en question ne contraignaient pas les collectivités publiques à mettre en œuvre le droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte, laissant ainsi aux collectivités la liberté de décider en fonction de leurs ressources.

Le Conseil d’État a également validé le régime de fixation des indemnités d’expropriation ou de préemptions, considérant que le législateur avait pris en compte la situation spécifique de chaque bien.

Un autre point de litige concernait le bail réel immobilier pour l’adaptation à l’érosion du littoral. Les requérants avaient soutenu que ces dispositions mettaient à la charge des collectivités publiques le coût de la renaturation et de la dépollution en fin de bail, ce qui, selon eux, contreviendrait à la loi d’habilitation, à un principe général du droit, au principe du pollueur-payeur et à une directive européenne sur la responsabilité environnementale. Cependant, le Conseil d’État a rejeté ces arguments, affirmant que le bail réel immobilier institué par l’ordonnance ne violait pas ces principes et que les coûts de renaturation et de dépollution pourraient être pris en charge par le preneur à bail.

Ainsi, le Conseil d’État a rejeté les questions de constitutionnalité soulevées, confirmant ainsi la validité de l’ordonnance. Cependant, ces litiges mettent en lumière la complexité des enjeux entourant la gestion du recul du trait de côte et les responsabilités des communes littorales. Les maires sont confrontés à d’importants défis en matière d’adaptation et de protection du littoral, et l’ampleur des ajustements requis est considérable. Il est impératif de travailler collectivement pour relever ces défis, en cherchant des solutions équilibrées permettant l’adaptation des territoires côtiers exposés à l’érosion, tout en préservant les intérêts des habitants, des propriétaires et des acteurs économiques.

Pour conclure, la législation concernant le recul du trait de côte demeure un sujet d’une grande importance pour les maires et les collectivités locales. Les récents changements législatifs, associés aux contentieux en cours, mettent en évidence les enjeux cruciaux auxquels sont confrontés les maires dans la gestion du littoral. La collaboration entre les autorités locales, les associations et les acteurs impliqués est essentielle pour trouver des solutions équilibrées et assurer une action coordonnée dans ce contexte complexe.

 

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