JUSTICE ET TRANSFERTS DE CHARGES : L’ÉTAT INVITE LES COLLECTIVITÉS À PAYER LA FACTURE

Dans une circulaire datée du 30 avril, le ministre de la Justice demande aux présidents de cour d’appel et procureurs généraux de solliciter les collectivités territoriales pour qu’elles participent, foncièrement ou financièrement, aux projets immobiliers du ministère. Derrière cette formule « limiter le coût global pour le ministère » se profile une nouvelle étape dans le transfert silencieux des charges de l’État vers les collectivités locales.

Cette instruction ne concerne pas uniquement les juridictions. Elle vise, de manière plus large, l’ensemble des infrastructures portées par la place Vendôme, y compris les établissements pénitentiaires, les centres éducatifs fermés, voire les services annexes du ministère. Le ministre suggère même de négocier avec les élus des contreparties comme des droits de réservation de logements ou des facilités d’accès aux crèches.

L’annonce intervient alors que l’État peine à tenir ses engagements sur le « plan 15 000 », censé créer 15 000 places nettes de prison d’ici 2027. Malgré des sites identifiés par les préfets, de nombreuses implantations sont à l’arrêt, bloquées par des oppositions locales ou des impasses foncières. En réponse, le gouvernement annonce désormais le recours à des prisons modulaires, censées être livrées en quelques mois. Reste à convaincre les territoires d’en accueillir.

Bien que le ministère revendique une hausse historique de ses moyens depuis 2017, la circulaire rappelle que la Justice a été « épargnée » par les annulations de crédits en 2025, une manière de légitimer la mobilisation des collectivités pour financer ce que l’État pourrait encore assumer. Derrière le discours d’efficience, c’est une nouvelle forme d’injonction managériale qui s’impose aux territoires : réduire les ambitions, mutualiser les charges, tout en maintenant des objectifs élevés en matière de performance. Pour les élus, cela signifie assumer des choix d’implantation et de financement sans en maîtriser ni les conditions ni les retombées concrètes.

Le texte appelle par ailleurs à des projets « sobres et économes », incitant les responsables judiciaires à redimensionner à la baisse les grands projets pour les rendre réalisables rapidement. Là encore, la logique est claire : alléger les coûts, accélérer les calendriers, tout en transférant une part significative des efforts vers les collectivités.

Du côté du ministère, les établissements pénitentiaires sont présentés comme des opportunités économiques. Emplois directs, commandes locales, effets indirects sur l’activité : les promesses sont connues. Pourtant, malgré les efforts de communication déployés lors du Salon des maires, l’argumentaire ne suffit manifestement pas à lever les réticences des élus concernés. D’autant que la dotation globale de fonctionnement, censée compenser l’augmentation de population induite, reste dérisoire : entre 64 et 129 euros par habitant.

La circulaire prolonge aussi une approche de pilotage très vertical, avec la mise en place de « lettres d’objectifs » envoyées aux chefs de cour, une évaluation par indicateurs de performance (Z-score), et la promesse de moyens supplémentaires pour les juridictions les plus performantes. Une manière assumée de faire peser sur le terrain une culture de la performance budgétaire, souvent étrangère aux logiques de service public de proximité.

Dans un contexte où les collectivités doivent déjà assumer la construction des gendarmeries, la prise en charge croissante de la sécurité civile ou encore l’entretien du bâti scolaire, cette circulaire envoie un signal préoccupant. Elle illustre une fois de plus la logique descendante d’un pouvoir central qui, faute de moyens, se défausse sur les territoires, tout en conservant seul la maîtrise des décisions structurantes.

Source : Localtis

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