Derrière l’annonce lissée d’une « année blanche », c’est une saignée budgétaire qui attend les territoires. 5,3 milliards d’euros seront ponctionnés sur les collectivités. Communes, départements, régions : tous mis à contribution, sans ménagement, dans un plan de rigueur qui refuse de dire son nom.
C’est un plan de redressement qui emprunte à la rhétorique martiale. « Stop à la dette », « en avant la production » : ce 15 juillet, François Bayrou a levé le voile sur les contours d’un budget 2026 placé sous le signe de la rigueur. Une rigueur étendue à tous les étages de la puissance publique, mais qui frappe particulièrement les collectivités territoriales. Le chiffre est tombé : 5,3 milliards d’euros d’« effort » leur seront demandés. Plus du double de l’année précédente. Et cela sans que les associations d’élus aient été véritablement entendues, malgré la promesse d’une « concertation ».
Dans le langage gouvernemental, on parlera de « maîtrise », de « régulation », de « contribution équitable ». Mais dans les faits, les communes, départements et régions verront leurs marges de manœuvre sévèrement amputées. Et cela, à l’heure où nombre d’entre elles peinent déjà à boucler leurs budgets, entre flambée des prix de l’énergie, revalorisation du point d’indice et hausse des besoins sociaux.
Une rigueur budgétaire assumée
François Bayrou a donné le ton dès les premières minutes de sa conférence de presse : il s’agit de mettre un coup d’arrêt à l’endettement de la France, estimé à plus de 150 milliards d’euros par an. Le Premier ministre veut imposer une cure de rigueur calibrée à Bercy pour ramener le déficit à 4,6% du PIB dès 2026. Un objectif qui se traduira par une cure d’austérité généralisée : 3 000 suppressions de postes dans la fonction publique d’État, gel de la valeur du point d’indice, gel des prestations sociales, coup de rabot sur les niches fiscales et… réduction de l’investissement public local.
Les collectivités n’échapperont à aucun des leviers actionnés par le gouvernement : reconduction et renforcement du Dilico, ce mécanisme d’écrêtement des recettes fiscales, baisse des dotations d’investissement, limitation de la dynamique de TVA. Seules la DETR et la DPV pour les territoires ruraux et les quartiers prioritaires sont épargnées. Quant à la Dotation Globale de Fonctionnement, elle serait maintenue. Mais cela ne suffira pas à compenser l’onde de choc provoquée par la réduction drastique des moyens investis dans les territoires.
Des justifications en trompe-l’œil
Le gouvernement, par la voix de François Rebsamen, tente d’atténuer la portée du choc. Il souligne que les collectivités ne supporteraient « que 13% » de l’effort global, alors qu’elles représentent 17% de la dépense publique. L’argument est discutable. D’une part, parce que la capacité d’action du bloc local s’est déjà vue affaiblie au fil des dernières années. D’autre part, parce que les collectivités, contrairement à l’État, ne peuvent pas faire fonctionner la planche à déficit : elles sont soumises à une règle d’équilibre budgétaire stricte.
Et puis, il y a le contexte : à quelques mois des élections municipales de 2026, les maires souvent isolés, parfois à bout de souffle, devront composer avec une réduction mécanique de leurs capacités d’investissement. L’exécutif fait mine d’y voir une conséquence « naturelle » du cycle électoral. Mais dans les faits, cette baisse est bien orchestrée depuis Paris. Et les élus locaux devront, une fois de plus, faire plus avec moins.
La tentation du passage en force
Sur le papier, le gouvernement promet une nouvelle « conférence financière des territoires ». Il y aurait concertation, visibilité, trajectoire pluriannuelle. Mais les arbitrages sont déjà tranchés. Le Premier ministre l’a lui-même reconnu : « C’est moi qui ai décidé ». Le dialogue, lui, tient lieu de décor. Les décisions sont prises, la concertation réduite à un artifice.
Les associations d’élus, elles, n’ont pas tardé à réagir. À commencer par Départements de France, malgré la promesse d’un fonds de sauvegarde de 300 millions d’euros pour les départements les plus fragiles. Car au-delà des chiffres, c’est une certaine idée de la relation entre l’État et les territoires qui vacille. À l’heure où les collectivités sont en première ligne face à la crise sociale, au dérèglement climatique et à la désaffection civique, les priver de leviers budgétaires revient à leur lier les mains.
Dans les rangs socialistes, la colère est frontale. Dans un communiqué diffusé dans la foulée des annonces, le Parti étrille une « année blanche » qui n’a de neutre que le nom. Ce que le gouvernement présente comme un effort collectif est dénoncé comme une violence sociale de plus, frappant toujours les mêmes : les territoires relégués, les services publics de proximité, les petites communes. Cette politique repose sur le déni des inégalités, la casse organisée de la protection sociale et une obsession comptable déconnectée du réel. La suppression envisagée du 8 mai ou du lundi de Pâques ne relève pas de l’anecdote : quand l’effort prend la forme de l’effacement du repos ou de la mémoire collective, c’est un choix de société qui s’affiche. Et ce choix-là, nous ne l’acceptons pas. Sur ces bases, la rentrée ne se fera pas à coups de compromis mais de censure.
Travailler plus… et recevoir moins
La philosophie générale du plan Bayrou repose sur un double postulat : réduire la dépense publique d’un côté, relancer la production de l’autre. Pour cela, le Premier ministre propose de supprimer deux jours fériés, d’encadrer davantage les arrêts maladie, de réformer l’assurance chômage et même de revoir certains droits en matière de congés ou de contrat de travail. Les contours d’un basculement assumé vers une société de l’effort, mais où l’effort semble surtout demandé à ceux qui disposent de peu de marges.
Pour les collectivités, cette nouvelle ère budgétaire s’ouvre sous des auspices peu enthousiasmants. Elles devront financer les investissements de transition, maintenir les services de proximité, soutenir la cohésion sociale, tout en absorbant une nouvelle cure de rigueur décidée d’en haut, au mépris des réalités locales, des petites villes comme des territoires ruraux, où les services publics sont les derniers à faire rempart.
Le « quoi qu’il en coûte » est bel et bien terminé. Et le nouveau mantra pourrait bien être : « quoi qu’il vous en coûte ».