Mercredi 31 mai, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a rejeté la dernière tentative parlementaire visant à remettre en question la réforme des retraites. La proposition de loi déposée par le groupe Liot a été modifiée en commission, la privant ainsi de sa principale mesure et il est peu probable qu’elle puisse être rétablie lors de la séance publique prévue le 8 juin prochain.
Le texte déposé le 25 avril à l’Assemblée nationale par le groupe Liot était intitulé « Proposition de loi abrogeant le recul de l’âge effectif de départ à la retraite ». Il se composait de deux articles : le premier visait à rétablir l’âge de départ à la retraite à 62 ans au lieu de 64, tandis que le second proposait l’organisation d’une conférence de financement pour garantir la pérennité du système de retraite.
Le gouvernement n’a jamais caché son intention de bloquer cette proposition de loi par tous les moyens à sa disposition. Se rappelant de l’échec de justesse de la motion de censure déposée par le groupe Liot le 20 mars, le dépôt d’une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites par ce même groupe représentait un danger pour le gouvernement. Liot, étant suffisamment « centriste », il est en mesure de rassembler les suffrages de toutes les oppositions et ainsi obtenir une majorité contre le camp présidentiel.
Au lieu de procéder à un vote, la majorité a opté pour une stratégie en deux temps : d’abord, vider le texte de sa substance en commission, puis invoquer la Constitution pour empêcher le groupe Liot de rétablir sa mesure d’abrogation par le biais d’amendements.
Le premier acte s’est joué hier au sein de la commission des affaires sociales, composée de 32 députés de la majorité, 19 de Nupes, 11 du RN, 8 des Républicains et 2 députés Liot. Par précaution, le groupe Les Républicains a remplacé deux absents par des députés n’ayant pas soutenu la motion de censure du 20 mars, assurant ainsi une légère majorité à ceux qui s’opposaient à la proposition de loi au sein de la commission.
Après quelques heures de débat, l’article 1er du texte, qui prévoyait le retour à l’âge de départ à la retraite à 62 ans, a été rejeté par 38 voix contre 34 au sein de la commission. Trois options se présentaient alors : soit la commission adoptait le texte avec seulement l’article 2, ce qui aurait entraîné l’examen de ce texte amendé lors de la séance publique ; soit la commission rejetait entièrement le texte, et c’est le texte initial qui aurait été examiné lors de la séance publique ; soit enfin, la commission n’était pas en mesure d’examiner l’ensemble du texte dans le temps imparti, auquel cas la proposition de loi initiale revenait à la séance publique.
Sans surprise, l’opposition a tenté de jouer ces deux dernières cartes : Charles de Courson, député Liot, a déposé un amendement visant à supprimer l’article 2 afin de faire rejeter l’ensemble du texte. Son amendement n’a pas obtenu la majorité requise.
À gauche, des milliers de sous-amendements ont été déposés afin de retarder au maximum l’examen du texte en commission et espérer que le texte initial soit examiné lors de la séance publique. La présidente de la commission, Fadila Khattabi, a contrecarré cette stratégie en invoquant l’article 41 du règlement de l’Assemblée nationale, qui confère au président de chaque commission le pouvoir d’organiser les travaux de celle-ci. Elle a utilisé ce pouvoir pour rejeter en bloc tous les sous-amendements de l’opposition.
La majorité a donc atteint son objectif : la proposition de loi du groupe Liot sera examinée lors de la séance publique du 8 juin, mais amputée de son principal article.
Quelle sera la suite ?
Il ne reste qu’une option pour l’opposition : réintroduire l’article 1er de la proposition de loi lors de la séance publique par le biais d’amendements. Cependant, compte tenu de la configuration actuelle et de la position de la majorité, il semble peu probable que cette tentative aboutisse. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, aura le pouvoir de déclarer ces amendements irrecevables en vertu de l’article 40 de la Constitution.
Cet article dispose que les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. Le rétablissement de l’âge de départ à la retraite à 62 ans aurait un impact financier considérable pour les finances publiques. Du point de vue constitutionnel, l’argument de « l’irrecevabilité financière » est donc valable.
Cependant, d’un point de vue politique, cette argumentation est plus difficile à accepter. En effet, d’une part, le président de la commission des finances, Éric Coquerel, a jugé que le texte était financièrement recevable. D’autre part, le Bureau de l’Assemblée nationale, composé de la présidente de l’hémicycle, des vice-présidents, des questeurs et des secrétaires, a validé le texte lors de son dépôt le 16 mai en le jugeant financièrement recevable. Ainsi, déclarer irrecevables les dispositions qui figuraient dans le texte initial au titre de l’article 40 oblige la présidente de l’Assemblée nationale à se prononcer contre la position des deux institutions qu’elle préside.