NARCOTRAFIC : DES CARTELS DE COLOMBIE AUX RUES DE MORLAIX

Le 15 septembre, RFI consacrait une journée spéciale au narcotrafic. Dans la matinale de 8h10, deux heures d’émission ont permis de croiser les regards d’économistes, de magistrats, de chercheurs et de correspondants de terrain sur un marché en plein essor : cocaïne, cannabis, fentanyl, drogues de synthèse…

Au milieu de ce panorama mondial, une voix locale s’est fait entendre : celle de Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix. Dans cette ville de 15 000 habitants, il observe au quotidien les mutations d’un phénomène qui ne se limite plus aux grandes métropoles.

Dans les montagnes andines, au cœur de la cocaïne

À des milliers de kilomètres de la Bretagne, tout commence dans les montagnes andines. Éric Samson, correspondant de RFI à Quito, a raconté son enquête menée à la frontière colombienne, là où l’on cultive la feuille de coca.
Pour approcher ces zones, il faut la protection des communautés locales. C’est dans leurs modestes “cuisines” que la feuille se transforme en pâte de coca, première étape d’une chaîne qui mène aux cartels. Dissidents des FARC, Deuxième Marquetalia, cartel du Golfe ou encore « Comptables » contrôlent chacun une portion de ce territoire.

Un jeune cultivateur colombien, David, raconte :

« J’ai 32 ans et j’ai commencé à travailler la coca à 12 ans. Ici, c’est tranquille : quand la police vient, elle s’occupe de ses affaires. En un mois complet, je peux gagner environ 450 euros. »

Derrière ces témoignages, les chiffres : 4 000 tonnes de cocaïne produites en 2024, contre 3 665 l’année précédente. Des saisies records, mais qui révèlent surtout l’ampleur du marché.

De la jungle colombienne aux ports européens

Pourquoi l’Europe est-elle devenue un débouché majeur ? Pour Clotilde Champeyrache, économiste au CNAM, la réponse est claire :

« Le marché américain est saturé avec le fentanyl et les drogues de synthèse. L’Europe est apparue comme une voie plus facile. Avec la hausse de la production, le prix a baissé, la pureté a augmenté… La cocaïne s’est banalisée. »

Autrefois réservée aux élites, la poudre blanche a conquis tous les milieux. Les réseaux ont changé : finis les points de deal fixes, la drogue se commande désormais par messagerie ou via les réseaux sociaux, livrée directement chez le consommateur.

Pour Bertrand Monnet, professeur à l’EDHEC, les narcos fonctionnent comme n’importe quel groupe commercial :

« C’est une logique de marketing. Ils ont offert des cargaisons gratuites aux distributeurs pour les convaincre de proposer la cocaïne. Résultat : tous les dealers, même ceux qui ne vendaient que du cannabis il y a quelques années, s’y sont mis. »

Et pour acheminer ces cargaisons, le trafic s’appuie sur des routes de plus en plus diversifiées :

« Le port de Guayaquil, en Équateur, est devenu le hub principal de la cocaïne colombienne. Mais l’Afrique de l’Ouest est désormais un relais majeur. Les cargaisons passent par le Sahel, remontent vers le Maroc et arrivent en Europe. »

À Morlaix, la « marée blanche » inquiète habitants et élus

C’est dans ce contexte que Jean-Paul Vermot a pris la parole. Morlaix, dit-il, n’est pas épargnée :

« Submergée, en fait, comme le reste de la France. Nous avons accepté ce rôle un peu ingrat d’oser jeter une lumière crue sur ce phénomène qui touche aussi les bourgs alentour. »

Deux points de deal ont été démantelés ces dernières années. Le constat est net :

« Toutes les catégories sociales sont concernées. Le phénomène cocaïne nous a sauté aux yeux. Aujourd’hui, les points de deal ont disparu, mais le trafic s’est déplacé vers les réseaux sociaux et la livraison à domicile. »

À Morlaix, le constat est sans appel : les usages sont multiples. « On observe un usage festif, mais aussi lié au stress professionnel, avec des personnes qui consomment en journée. Ce qui nous inquiète particulièrement, c’est le rajeunissement des trafiquants : une partie de notre jeunesse, souvent fragilisée, est embarquée dans des réseaux extrêmement violents. »

Quant aux habitants, leur inquiétude est palpable :

« Quand des jeunes dealers s’installent au pied des immeubles, toute la population s’interroge : que fait la puissance publique ? Ici, nous avons pu démontrer qu’elle pouvait agir, et je salue le travail des forces de l’ordre. »

Un fléau sans frontières

Les témoignages français, comme ceux entendus à Châteauroux, confirment la tendance : « On trouve toujours le produit, parfois en moins d’une heure », racontent des consommateurs.

Pour Laure Bécuau, procureure de Paris, la banalisation est désormais totale :

« La drogue peut arriver par livraison, par courrier… toutes les raisons sont réunies pour qu’on en trouve partout. Le Covid a accentué ce mouvement en déstabilisant beaucoup de repères. »

Kush, fentanyl : les nouvelles drogues qui ravagent une génération

L’Afrique de l’Ouest, longtemps zone de transit, est devenue un marché à part entière. En Sierra Leone, le kush, drogue de synthèse hyper-addictive, ravage une génération. Un jeune consommateur confie :

« Si je n’en prends pas pendant deux ou trois heures, mes os me font mal, je ne peux plus tenir debout. Cette drogue nous détruit. »

Outre-Atlantique, c’est le fentanyl qui ravage les États-Unis : un opioïde de synthèse, cent fois plus puissant que la morphine. Aujourd’hui, il est la première cause de mortalité des 18-45 ans.

 Face à la marée blanche, que faire ?

Toutes les drogues évoluent, se renouvellent, se déplacent. Mais un constat demeure : leur diffusion s’accélère, portée par la mondialisation et par l’adaptation des organisations criminelles.

Comme le rappelle Clotilde Champeyrache :

« Les consommateurs sont souvent poly-consommateurs. Ils testent, ils mélangent. Cela élargit encore le marché. »

Face à cette « marée blanche » qui frappe jusqu’à Morlaix, la réponse ne peut pas être seulement policière. Elle doit aussi s’attaquer aux causes sociales, économiques et psychologiques de la consommation. Et briser l’image parfois romantisée qui entoure encore certains produits.

Rarement une émission aura permis de mesurer aussi clairement le lien entre trafics mondiaux et réalités locales. À réécouter dans son intégralité sur le site de RFI en suivant ce lien

 

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