NARCOTRAFIC : LES MAIRES REFUSENT DE SUBSTITUER L’ÉTAT

Le trafic de stupéfiants, autrefois cantonné aux grandes métropoles, s’enracine aujourd’hui jusque dans les campagnes, mettant à rude épreuve les élus locaux. Lors de la table ronde « Les maires face au trafic de stupéfiants », organisée au Congrès des maires en novembre dernier, élus, experts et représentants de l’État ont débattu des moyens de contrer ce fléau tentaculaire. Prêts à agir, les maires ont toutefois rappelé que la sécurité publique reste avant tout une mission régalienne, nécessitant un engagement renforcé de l’État.

Une menace systémique

Le narcotrafic en France génère chaque année un chiffre d’affaires estimé entre 3,5 et 6 milliards d’euros. À titre de comparaison, ce montant équivaut à près de 80 % du budget annuel du ministère de la Justice, qui couvre les rémunérations des magistrats et agents pénitentiaires. Ces chiffres traduisent l’ampleur des moyens financiers dont disposent les réseaux criminels.

Avec près de 240.000 personnes impliquées, ces organisations structurées étendent leurs activités bien au-delà des grandes villes. Les zones rurales, autrefois épargnées, deviennent des points stratégiques, utilisées pour le stockage, le transit et parfois le blanchiment. Leur discrétion et la porosité entre les zones sous gendarmerie et celles sous police en font des bases arrière idéales pour alimenter les marchés urbains.

Ce constat, soutenu par des données percutantes lors de la table ronde, souligne l’urgence d’une réponse cohérente et coordonnée. Sans moyens supplémentaires et une coopération accrue entre collectivités, forces de l’ordre et institutions de l’État, les conséquences sociales et sécuritaires continueront de s’aggraver.

Les maires, vigies locales mais pas suppléants

En première ligne, les maires jouent un rôle clé dans la détection des signaux faibles. Leur connaissance des territoires leur permet d’identifier des comportements suspects, des commerces douteux ou des lieux de blanchiment d’argent. Mais cette implication atteint ses limites. Ils refusent de devenir les suppléants d’un État défaillant, rappelant que la sécurité publique exige des compétences et des moyens que seul l’État peut mobiliser.

Lors de la table ronde, plusieurs élus ont exprimé leur frustration face à l’absence de retours sur les signalements effectués. Cet échange d’informations, indispensable pour renforcer l’efficacité des actions locales, reste trop souvent à sens unique. Les maires demandent des mécanismes clairs pour assurer une coordination efficace et garantir un suivi des informations transmises.

Prévention et répression : des réponses encore insuffisantes

La montée en puissance des nouvelles drogues, telles que la cocaïne ou les opioïdes de synthèse, représente un défi majeur pour les territoires. Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix et président de Morlaix Communauté, a alerté sur une banalisation inquiétante des trafics jusque dans les centres-villes, une évolution marquée depuis la pandémie. L’apparition de points de deal dans des espaces autrefois préservés reflète une diffusion alarmante du narcotrafic, aggravée par la montée des violences et l’accélération des parcours criminels chez des jeunes de 14 à 20 ans. Pour lui, le décrochage scolaire constitue un point de bascule critique, souvent négligé par des politiques éducatives et sociales insuffisamment adaptées.

Dans ce contexte, le renforcement des dispositifs éducatifs et sociaux est jugé indispensable pour contrer l’entrée des jeunes dans les réseaux criminels. La prise en charge sanitaire doit également être repensée, notamment pour répondre aux effets destructeurs des drogues dures, qui alimentent des comportements violents et déstabilisent des territoires déjà fragilisés.

Une mobilisation collective attendue

Renforcer la coordination entre collectivités, forces de l’ordre et justice est apparu comme une priorité. Parmi les propositions avancées, la création d’un parquet national spécialisé, calqué sur les dispositifs antiterroristes, figure en bonne place. Ce dernier pourrait centraliser les actions et harmoniser les interventions sur l’ensemble du territoire.

Au niveau local, le développement d’outils de suivi plus performants a également été évoqué. Ces dispositifs permettraient d’exploiter efficacement les signalements des élus et de garantir un retour d’information clair et opérationnel. Selon les participants, ces mesures contribueraient à structurer une réponse plus adaptée à la complexité du phénomène.

Un défi national aux conséquences locales

Le narcotrafic, loin d’être un problème purement local, est devenu un défi systémique qui menace la cohésion sociale et les institutions. Face à cette menace tentaculaire, les maires, malgré leur engagement sans faille, ne peuvent être laissés seuls en première ligne. Ils exigent de l’État une mobilisation à la hauteur de l’enjeu, avec des moyens substantiels et une stratégie nationale claire qui conjugue répression, prévention et soutien concret aux collectivités. Seule une réponse ambitieuse et coordonnée permettra de restaurer durablement la sécurité sur l’ensemble du territoire.

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