Le projet de loi présenté fin octobre en Conseil des ministres, désormais déposé au Sénat, relance un vieux débat : faut-il confier aux polices municipales des missions de police judiciaire ? Sous couvert de simplification, le texte du gouvernement entend étendre leurs prérogatives tout en maintenant le principe du volontariat des maires.
Depuis plus de dix ans, la question revient régulièrement sur la table. En 2011, la loi Loppsi 2 avait déjà tenté d’ouvrir aux agents municipaux certains pouvoirs de police judiciaire ; en 2021, la loi Sécurité globale en avait repris l’idée. Les deux textes avaient été censurés par le Conseil constitutionnel. Le gouvernement revient aujourd’hui avec une formule présentée comme juridiquement « sécurisée ». Les policiers municipaux et gardes champêtres pourraient désormais constater et verbaliser neuf types de délits : usage de stupéfiants, conduite sans permis, outrage sexiste, vente à la sauvette… Ces infractions, déjà sanctionnables par amende forfaitaire délictuelle, resteraient limitées aux cas de flagrance : aucun acte d’enquête ne serait permis.
La principale nouveauté tient à l’instauration d’une double chaîne de commandement. Les policiers municipaux resteraient placés sous l’autorité du maire pour leurs missions habituelles, mais dépendraient du procureur de la République lorsqu’ils agiraient dans le cadre judiciaire. Ce glissement, même partiel, n’a rien d’anodin. Il remet en question la ligne directe d’autorité du maire sur ses agents. C’est pourquoi le texte prévoit que ces nouveaux pouvoirs ne seront accordés que sur décision expresse du maire, après délibération du conseil municipal. Le volontariat demeure donc un principe cardinal.
Le projet de loi introduit aussi plusieurs évolutions techniques : expérimentation, pendant cinq ans, de l’usage de drones pour la sécurité des manifestations, la prévention des risques ou la surveillance de sites publics ; autorisation d’utiliser des systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (Lapi) pour lutter contre les dépôts sauvages de déchets ; pérennisation des caméras-piétons pour les gardes champêtres ; possibilité pour les régions de financer les équipements de police municipale ; et mutualisation temporaire des services entre communes ou au sein d’un EPCI lors d’événements exceptionnels.
Le Conseil d’État, dans son avis rendu le 23 octobre 2025, reconnaît que la réforme entraînera nécessairement des dépenses supplémentaires pour les collectivités, sans que ces coûts aient été précisément évalués. Les associations d’élu·es ont fait part de leurs réserves : formation spécifique des encadrants, rémunérations à revaloriser, équipements à renouveler… Autant de dépenses qui pèseront sur les budgets municipaux, sans compensation de l’État puisque le texte n’est pas qualifié de transfert de compétences. « Un aménagement de compétences », précise le gouvernement ; une « charge nouvelle », rétorquent plusieurs maires.
Saluant la concertation engagée, les associations d’élu·es rappellent néanmoins une exigence : cette réforme ne doit pas servir de prétexte à un désengagement de l’État dans la sécurité publique. La Fédération nationale des polices municipales et l’AMF soulignent également la nécessité de garantir l’égalité entre communes : certaines disposent déjà de services structurés, d’autres s’appuient sur des dispositifs de médiation ou de tranquillité publique. Toutes partagent la même ambition : assurer la sécurité de leurs habitants dans le respect de leurs moyens et de leur liberté d’organisation.
Le texte sera examiné au Sénat dans les prochaines semaines. Son adoption avant les municipales paraît improbable, mais le débat est lancé : comment concilier proximité, autorité locale et cohérence républicaine ?
Sources : projet de loi n° 25-097 (Sénat, déposé le 29 octobre 2025) ; avis du Conseil d’État du 23 octobre 2025.


