Le 30 mai dernier, Eric Woerth a présenté à Emmanuel Macron son très attendu rapport sur la décentralisation. Ce document de 160 pages propose une réorganisation des compétences entre les collectivités locales, avec des recommandations spécifiques pour chaque niveau administratif. Parmi les sujets abordés figurent la révision du fonctionnement de l’intercommunalité, le semi-retour du conseiller territorial et diverses propositions sur les compétences des collectivités. Le rapport traite également des finances publiques, proposant une redistribution des ressources entre les différents niveaux de collectivités et l’État.
Cette initiative fait suite au rapport de Boris Ravignon, remis au gouvernement le 29 mai, qui portait sur « le coût du millefeuille administratif » et contenait diverses propositions sur les compétences des collectivités.
Le rapport, intitulé « Décentralisation : le temps de la confiance », propose 51 mesures pour revitaliser la décentralisation. Il se penche sur la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités, visant à achever la mise en cohérence des responsabilités de chaque strate. Selon ses recommandations, le bloc communal serait chargé des services publics de proximité, le département des solidarités et de la résilience des territoires, et la région du développement économique et de la planification active.
Pour renforcer le rôle des communes en tant que « premier maillon de l’action publique locale », Eric Woerth propose de transférer des compétences de proximité, telles que le sport, le logement et l’urbanisme, des niveaux administratifs plus élevés vers les communes. Les communes prendraient ainsi en charge la gestion du parc HLM, la rénovation énergétique et disposeraient de pouvoirs réglementaires accrus, notamment sur les meublés touristiques et la régulation du marché locatif.
Quant aux départements, le rapport suggère de renforcer leurs compétences, notamment dans les domaines des solidarités et de la résilience territoriale. Pour ce faire, une « contractualisation globale entre l’État et les départements » serait mise en place pour les politiques sociales, avec la création d’un « service départemental des solidarités » présidé par le conseil départemental et incluant des représentants de l’État. Cependant, les départements devraient abandonner certaines compétences, telles que l’aide aux entreprises et la gestion des infrastructures sportives, que l’État pourrait leur transférer.
En ce qui concerne les régions, le rapport les positionne comme « instances de planification dans les domaines de la transition écologique et du développement économique ». Le rôle des régions serait donc renforcé dans des domaines tels que les zonages fiscaux, le soutien aux entreprises, la gestion des ports maritimes et des aéroports, ainsi que l’orientation des lycéens et l’enseignement supérieur.
Il est légitime de se demander si ce rapport n’ajoute pas une couche supplémentaire de bureaucratie sans résoudre les problèmes fondamentaux de la gouvernance locale en France. Les propositions pourraient entraîner une complexité administrative accrue sans offrir de solutions concrètes aux défis actuels. Ne risque-t-on pas alors de se retrouver avec une gestion plus lourde et moins efficace des services publics locaux, exacerbant les frustrations des citoyens et des élus face à une gouvernance déjà perçue comme inefficace et déconnectée des réalités du terrain ?
Un chapitre essentiel du rapport est consacré à l’intercommunalité, proposant une simplification radicale des compétences des Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI). Cette simplification viserait à réduire la complexité administrative et à améliorer l’efficacité des services publics locaux. Toutefois, cette proposition soulève des questions quant à la réelle efficacité de telles mesures. La centralisation des compétences pourrait entraîner une perte de spécificité et de réactivité locale, et l’harmonisation des compétences des EPCI pourrait également engendrer des tensions entre les différentes strates de collectivités. De plus, cette démarche pourrait être perçue comme un moyen de recentraliser des pouvoirs, allant à l’encontre de l’objectif initial de la décentralisation. Il est recommandé de supprimer les quatre statuts distincts actuels au profit d’un statut unique. Ce nouveau cadre inclurait des compétences obligatoires jugées essentielles pour la coopération intercommunale, telles que l’eau et l’assainissement, la collecte et le traitement des déchets ménagers, le développement économique, l’accueil des gens du voyage, les transports collectifs et l’habitat.
Quant à la réorganisation des modes de scrutin locaux, le rapport propose notamment la réintroduction des conseillers territoriaux, afin de mieux coordonner les actions des départements et des régions et de rendre les élus plus visibles pour les citoyens. Cette réforme nécessiterait une révision des modes de scrutin et de la carte cantonale, avec l’élection d’un binôme d’élus par canton au scrutin majoritaire à deux tours.
Enfin, dans le domaine financier, le rapport propose un réaménagement radical des ressources des collectivités territoriales, visant à attribuer des ressources en adéquation avec les missions de chaque niveau de collectivités et de redonner un pouvoir de taux effectif à chacune d’elles. Cette réforme s’accompagnerait également d’une nouvelle gouvernance financière locale, avec la tenue de conférences réunissant l’État et les élus locaux pour discuter de l’affectation des ressources fiscales nationales et des efforts de maîtrise des finances publiques.
Les propositions d’Eric Woerth sur la décentralisation incluent la suppression de 20 % de conseillers municipaux, diverses propositions sur le cumul des mandats, ainsi que la clarification des compétences des collectivités. Il est pertinent de questionner la faisabilité et l’impact réel de ces mesures. Par exemple, les propositions de transfert de compétences aux communes peuvent sembler séduisantes sur le papier, mais risquent de surcharger les petites municipalités sans les ressources nécessaires pour assumer ces nouvelles responsabilités. En effet, ces communes disposent souvent de moyens financiers et humains limités, ce qui pourrait compromettre leur capacité à gérer efficacement de nouvelles missions. Cette surcharge pourrait entraîner une diminution de la qualité des services publics locaux et une inégalité accrue entre les communes riches et les communes moins favorisées. Par ailleurs, la clarification des compétences pourrait également engendrer des conflits de juridiction et des difficultés de coordination entre les différents niveaux de collectivités, contredisant l’objectif de simplification administrative avancé par le rapport.
Cependant, ces propositions ne sont pas sans susciter des réactions mitigées parmi les associations d’élus. Régions de France, par exemple, a exprimé son soutien à plusieurs propositions clés du rapport Woerth, saluant notamment l’accent mis sur le renforcement du pouvoir d’action des régions. Toutefois, l’association s’est opposée à la création d’un conseiller territorial, craignant que cela ne crée une confusion entre les compétences régionales et départementales. De leur côté, Départements de France et l’Association des maires de France ont exprimé des réserves quant à certaines recommandations du rapport, critiquant notamment des propositions jugées recentralisatrices ou risquant de compromettre la libre administration des collectivités territoriales.