Depuis 2023, la commune de Saint-Thégonnec Loc-Eguiner est engagée dans l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). En un peu plus d’un an, plus de 40 personnes ont retrouvé un emploi stable, dans des activités utiles au territoire. Pourtant, alors que 125 députés proposent de pérenniser ce dispositif, le gouvernement freine, s’inquiète du coût, et temporise. Sur le terrain, une politique de l’emploi fonctionne. Au sommet de l’État, on continue de douter.
Une politique publique construite au plus près des besoins
Le Finistère compte aujourd’hui deux territoires habilités dans le cadre du programme TZCLD : Saint-Thégonnec Loc-Eguiner, commune rurale engagée depuis mars 2023, et Concarneau, habilitée en 2024. À travers des contextes différents, ces deux territoires démontrent que, dans le rural comme dans l’urbain, il est possible de recréer de l’emploi stable et utile là où le chômage de longue durée s’est installé.
À Saint-Thégonnec, cette dynamique est le fruit d’un travail engagé dès 2019, avec la création de l’association « Droit à l’emploi Saint-Théloc ». Le projet se structure en 2020 autour de visites aux foyers, de permanences d’accueil, et de la mobilisation d’un comité local pour l’emploi associant élus, partenaires sociaux, acteurs de l’insertion et citoyens. En 2021, l’Entreprise à But d’Emploi « Nevez Amzer – Terre d’emplois solidaires » est constituée, en lien avec la commune, avant d’être habilitée en juin 2023.
Portée par la commune et soutenue par plusieurs partenaires, notamment Morlaix Communauté et Enedis, la démarche repose sur une organisation rigoureuse. L’objectif : identifier les personnes privées d’emploi depuis longtemps, écouter leurs contraintes, et créer des postes à temps choisi, en CDI, utiles au territoire, sans concurrencer l’existant.
En un peu plus d’un an, Nevez Amzer a permis à plus de 40 personnes de sortir durablement du chômage, dans des secteurs aussi variés que la couture, la blanchisserie, la conciergerie, la recyclerie, le maraîchage ou encore l’atelier bois. Des emplois stables, visibles, et directement ancrés dans les besoins locaux, là où le marché a déserté.
Ce que l’État appelle « expérimentation », le territoire appelle travail
Là où les discours nationaux parlent encore d’hypothèse ou de modèle à tester, les communes concernées ont déjà pris acte d’une réalité : oui, on peut sortir durablement du chômage de longue durée quand on construit une réponse adaptée, stable, locale et publique.
En mars 2025, le Fonds d’expérimentation territoriale publiait son bilan :
-
4 000 emplois créés dans 75 territoires,
-
une majorité de salarié·es anciennement éloigné·es de l’emploi depuis plus de 5 ans,
-
et surtout, 75 % du coût compensé par les économies sur les prestations sociales et les recettes nouvelles (TVA, cotisations, impôts sur le revenu).
Le programme n’est donc ni hors de prix, ni marginal. Il est solide, reproductible, et légitime. Il s’inscrit dans le prolongement d’une vision de gauche : l’emploi comme droit, et non comme récompense sous condition.
À l’Assemblée, 125 députés pour le droit à l’emploi. Un gouvernement sur la réserve.
Le 17 avril 2025, une proposition de loi portée par le député Stéphane Viry (Liot) a été déposée, avec le soutien de 124 autres parlementaires, dont 47 socialistes. Elle vise à pérenniser et étendre progressivement le dispositif TZCLD, en affirmant clairement qu’il constitue une traduction concrète du droit à l’emploi.
Le texte prévoit notamment :
-
de renommer les comités locaux pour renforcer la lisibilité du système,
-
d’ajuster la participation des collectivités,
-
et d’articuler plus clairement TZCLD avec les autres formes d’insertion (IAE, STPA).
Lors de l’ouverture des débats le 4 juin, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a aligné les réserves : crainte d’une concurrence, coût estimé des ETP, viabilité financière. Une position qui ignore les retours de terrain et les données déjà produites comme si douter suffisait à différer l’engagement.
Plutôt que de s’appuyer sur les résultats déjà disponibles, l’exécutif a choisi de suspendre l’examen de la loi, en attendant les conclusions du comité scientifique d’évaluation, attendues pour l’été.
Ce qui est en jeu : le choix entre une politique humaine et une doctrine comptable
Il faut le dire clairement : le débat n’est plus technique. Il est politique.
Sur le terrain, ce que permet TZCLD, c’est la fin du non-emploi imposé. C’est la possibilité de travailler sans subir, de retrouver un cadre, une stabilité, une utilité. Le CDI comme outil d’émancipation. Le territoire comme acteur à part entière.
Face à cela, l’exécutif continue d’imposer une lecture distante, abstraite, comptable. Une vision où l’emploi ne peut être qu’un ajustement budgétaire, un objectif de performance ou un levier de contrôle social.
Saint-Thégonnec n’est pas une exception. C’est une démonstration.
Travailler, ici, maintenant
Avec une cinquantaine de recrutements prévus d’ici 2026, la commune ne cherche pas à « communiquer ». Elle prouve, simplement, que la puissance publique locale peut réparer ce que les réformes successives ont abîmé : le lien entre le travail, le droit et la dignité.
Ce n’est pas un modèle parfait. Mais c’est une réponse concrète à un problème massif, à mille lieues des logiques de radiation, d’activation ou de précarisation.
Alors la question reste entière : pourquoi freiner ce qui fonctionne ?
Et surtout : à qui profite le doute, quand l’emploi revient entre les mains de celles et ceux qui en étaient privés ?