L’une des règles importantes en droit administratif stipule que la légalité d’une décision prise par une autorité administrative doit être évaluée par le juge de l’excès de pouvoir en se basant sur la situation au moment où cette décision a été prise, et non au moment où le juge rend son verdict. Cela signifie que, en principe, le juge ne peut pas tenir compte d’événements ou de circonstances survenus après que la décision a été prise pour juger de sa légalité.
Cependant, la réalité peut être plus complexe, comme le montre une récente affaire devant le Conseil d’État :
Acte 1 : Une municipalité refuse de délivrer un permis de construire en arguant que le projet serait dangereux pour les habitants (notamment en raison de la construction de trois maisons individuelles dans une zone sujette aux glissements de terrain). Le constructeur conteste ce refus devant le tribunal administratif. Cependant, avant que le tribunal ne prenne sa décision, le maire retire son refus et délivre le permis de construire demandé.
Acte 2 : Des voisins contestent le permis de construire qui vient d’être accordé. Le tribunal administratif annule le permis, car il est effectivement dangereux et en violation de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme. Personne ne fait appel de cette décision, la rendant donc définitive et indiscutable.
Acte 3 : Le même jour, le tribunal administratif rend un autre jugement rejetant le recours du constructeur contre le refus initial de permis. Le constructeur fait appel de cette décision.
Acte 4 : La Cour administrative d’appel doit désormais décider si le refus de permis de construire est légal, même si une décision de justice antérieure a déjà jugé que le projet est dangereux. Doit-elle respecter cette décision antérieure, bien que les faits qui l’ont motivée soient postérieurs à la date du refus initial de permis ? En d’autres termes, la Cour doit-elle elle-même évaluer si le projet du constructeur est dangereux, ou bien est-elle liée par la décision antérieure ayant force de chose jugée ?
La réponse du Conseil d’État est la suivante : « L’autorité de chose jugée s’attache au dispositif d’une décision de justice devenue définitive qui annule un permis de construire, ainsi qu’aux raisons qui justifient cette annulation. En l’absence de changements significatifs dans la situation légale ou factuelle, le juge administratif ne peut pas annuler un refus de permis ultérieur, s’il est fondé sur les mêmes motifs que ceux ayant conduit à l’annulation du permis de construire. Même si la légalité d’un refus de permis se juge en fonction de la situation au moment de sa prise, le juge doit respecter l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’annulation définitive du permis de construire ayant le même objet, délivré après le refus initial, ainsi que les motifs de cette annulation. »
Épilogue : Dans les litiges liés à l’urbanisme, la portée de l’autorité de la chose jugée attachée à une décision annulant un permis de construire peut être très large. Elle peut s’appliquer aux motifs du jugement (alors que normalement, elle concerne principalement le dispositif de la décision du juge), elle peut lier le juge dans un différend portant sur un objet différent (comme ici, où la décision initiale concernait un permis de construire, tandis que le litige devant la Cour portait sur un refus de permis – les décisions attaquées n’étaient pas identiques), tout cela pour juger de la légalité d’une décision rendue avant cette décision de justice.